lundi 31 janvier 2011

La mémoire longue

Ayant terminé la lecture des chroniques d'Antoine Blondin, je viens de me replonger dans le livre de Didier Daeninckx "La mémoire longue", éditions du Cherchemidi. Ce livre est présenté par l'éditeur comme le "grenier de la mémoire de Didier Daeninckx"... Peut-être un des plus grands écrivains français de l'époque ! J'ai déjà reproduit un texte de ce livre dans mon ancien blog, à la rubrique "Brèves de vélo", il racontait à sa manière la disparition en 1967 de Tom Simpson.
Je viens d'y dénicher cette nouvelle... 
Cher Abd El-Kader Zaaf
Autant l'avouer dès la première ligne, je n'ai pas l'habitude de m'adresser à un énarque. Si je le fais aujourd'hui sans crainte, c'est que les initiales ENA inscrites sur votre maillot de cycliste se traduisent simplement par « Équipe nord-afri­caine ». Je me souviens vous avoir vu, c'était en juillet 1950, vous étiez allongé à la naissance d'un talus, au bord d'une route écrasée de soleil qui menait vers Nîmes. Les gens riaient en vous montrant du doigt, certains vous traitaient de « Sidi picrate ». À un moment, vous vous êtes relevé, vous avez assuré la casquette de coureur sur vos cheveux bouclés, et vous êtes remonté sur votre vélo pour tenter de rejoindre le peloton qui, déjà, fondait sur les faubourgs de la vieille ville romaine. Encore sous le choc de votre effondrement, vous êtes reparti en sens inverse, vers Perpignan, et il a fallu toute la persuasion du docteur du Tour pour que vous arrê­tiez de pédaler, que vous acceptiez de grimper dans l'ambulance.
C'est vrai que vous empestiez l'alcool, vous qui, de votre vie, n'avez jamais avalé la moindre goutte de vin. Comment auriez-vous pu imaginer que la bouteille de liquide limpide qu'un spectateur rigolard vous tendait, à l'amorce d'un virage, contenait une eau-de-vie de bouilleur de cru ?
Vous avez bu au goulot, en toute confiance, puis aussitôt vous êtes tombé en hurlant.
Votre réputation en a été ternie, jusque dans votre douar de Chebli.
Je me souviens que ce jour-là, c'est votre compatriote Mar­cel Molines, un Algérois, qui remporta l'étape. Le lendemain, à Toulon, un autre de vos équipiers de l'ENA, Custadios Dos Reis, montait sur le podium.
Pendant le reste de temps qu'il a vécu, il ne s'est pas passé une semaine sans que mon oncle Guy ne me raconte comment il vous avait piégé, au bord de cette nationale en fête avec sa gnôle de contrebande. J'entends encore son rire, insupportable, en écho à votre détresse... Un rire qui s'est enfin étranglé au fond de sa gorge, brûlant comme un mau­vais alcool, quand j'ai serré le lacet.
Pour vous venger, vous le major de l'ENA.
Et bien sûr, je suis allé voir dans la presse de l'époque : le Tour de France 1950.
Echappé avec son équipier Molines qui gagna à Nîmes, Zaaf fut contraint à l'abandon. Alimentant une de ces histoires qui font la légende du Tour de France...

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Je découvre ce jour votre blog. Je vois que nous sommes tombés dans la même potion magique ... le vélo, Blondin, Ferrat etc...
    Le Tour 1959, j'avais douze ans; mon idole Anquetil s'englua dans des querelles d'égo avec Rivière et Bobet mais cependant le gamin que j'étais sauta de joie à l'arrivée à Aurillac.
    Je me permets de vous joindre quelques liens de mon blog. Vous vous rendrez compte que la même passion cycliste court dans nos veines. Je reviendrai souvent chez vous.Cordialement.
    Jean-Michel
    http://encreviolette.unblog.fr/2008/07/09/le-tour-de-france-tours-de-mon-enfance/
    http://encreviolette.unblog.fr/2009/04/15/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse/
    http://encreviolette.unblog.fr/2009/08/22/jacques-anquetil-lidole-de-ma-jeunesse-suite/
    http://encreviolette.unblog.fr/2009/10/01/une-photo-vieille-photo-de-ma-jeunesse/
    http://encreviolette.unblog.fr/2009/10/15/encore-des-photos-vieilles-photos-de-ma-jeunesse/

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