lundi 12 mai 2014

Les nouveaux forçats de la route

En feuilletant mes vieilles revues pour préparer mon message concernant la chute de Roger Rivière durant le Tour 1960, j'ai fait une découverte... rigolote.
Les "forçats de la route" est une expression rattachée aux reportages que fit Albert Londres durant le Tour de France 1924 dans le journal "Le Petit Parisien".
Il n'inventa pas l'expression mais un recueil de ses articles reçut ce titre.
L'article le plus célèbre fut le compte-rendu de l'abandon des frères Pélissier lors de la troisième étape Cherbourg-Brest. Le vainqueur du Tour 1923, Henri Pélissier, abandonnant sur un coup de colère pour protester contre un règlement un peu trop tatillon. Ce n'est pas aujourd'hui que l'on verrait cela...
Plutôt que de reproduire ce fameux papier d'Albert Londres, j'ai retrouvé dans le "Miroir des sports" N° 209 du 2 juillet 1926, un autre article écrit par André Reuzé qui accompagnait Albert Londres :
"Le commissaire n'est pas bon enfant
C'est pour une histoire de maillot qu'Henri Pélissier abandonna à Coutances. En réalité, c'est la façon dont le commissaire de la course s'y prit pour exercer son droit de contrôle qui vexa Henri et provoqua toute l'affaire.
Quand on part la nuit, il fait froid. Henri mettait deux maillots l'un sur l'autre. Le jour, il fait chaud. Henri s'arrêtait vers huit heures, enlevait l'un de ses maillots et le jetait. Il ne s'en cachait pas. L'une de nos photo­graphies, prise au cours de l'étape Le Havre-Cherbourg, et que nous avons donnée deux pages avant celle-ci, en fait foi. Henri a tou­jours été partisan d'alléger le coureur le plus possible, et il estimait que la valeur d'un maillot est peu de chose quand la partie à jouer est aussi grosse que le Tour de France. Cela ne plut pas à quelqu'un de la caravane, qui craignait de voir les frères Pélissier gagner et ne fut pas fâché de soulever ce lièvre nouveau. L'affaire du maillot, lancée en sous-main, fit son che­min. On aurait pu en parler au principal inté­ressé. Un commissaire préféra, au départ de Cherbourg, soulever le maillot d'Henri, sans rien lui dire, pour vérifier son équipe­ment. Le procédé déplut au coureur, qui a le caractère vif. La discussion s'envenima. Henri voulut des précisions, qu'on lui promit à Brest. Dégoûté d'un règlement élastique qu'on n'arrive jamais à connaître tout à fait, Henri partit, mais pour aller avertir son frère, en avant, qu'il abandonnait.
La méprise
Francis ne fut pas fâché de savoir qu'Henri « laissait ça là », car, depuis le premier jour, il souffrait d'un peu partout. Ses poches con­tenaient une fiole de cocaïne pour ses yeux, du chloroforme pour son genou, de l'aspi­rine et autres médicaments. « Encore un peu, dit-il, et je n'avançais plus qu'à coups de pharmacie. »
Comme Ville avait un genou qui ne mar­chait plus bien, il décida de se joindre à ses deux camarades d'écurie, et les voilà roulant doucement vers la prochaine gare, c'est-à-dire vers Coutances. Les autres, qui ne savaient pas encore, réglaient leur allure sur celle d'Henri. Et, comme quelqu'un disait à Jacquinot :
« Tu restes là, tu ne te presses pas plus que ça !
- Bah ! fit le gars de Pantin, tranquille, les Pélissier sont derrière. »
Trois aviateurs

C'est à Granville seulement qu'on connut exactement l'abandon des Pélissier et que ceux-ci étaient restés à Coutances, à vingt kilomètres en arrière. Immédiatement, avec mon excellent confrère et ami Albert Londres, qui suit le Tour pour le Petit Parisien, je sau­tai en voiture et retournai à Coutances. 
Albert Londres et les trois coureurs au Café de la gare de Coutances.
Les deux Pélissier et Ville prenaient tranquille­ment un café crème au café de la gare. Sans acrimonie, ils nous racontèrent leur histoire. Cependant, il leur fallait s'équiper pour pren­dre le train et aller chercher leurs valises à Brest. Nous les conduisîmes dans un maga­sin de confection, Au Franc Picard, où ils achetèrent trois combinaisons de toile brune. Ainsi vêtus, ils avaient l'air de mécaniciens-aviateurs. Tous les gosses de Coutances les suivaient en ouvrant de grands yeux. Et le photographe du Miroir des Sports ne se plai­gnit plus à ce moment-là de la monotonie du Tour de France."
Cet épisode restera dans la mémoire collective comme la naissance des "forçats de la route". Or, à aucun moment, Londres n'utilise cette expression dans ses articles. Pourtant, elle sied à merveille au récit de la dure peine des coureurs de ce Tour 1924 ainsi qu'il est narré par le célèbre journaliste.
Peu au fait de la chose cycliste, il fut pourtant un peu abusé par les rusés frères Pélissier qui avaient trouvé une oreille attentive pour em...... leur ennemi intime, j'ai nommé Henri Desgranges, le patron du Tour de France. 
J'aurai certainement l'occasion de revenir sur la grande Histoire des frères Pélissier, des champions comme on n'en fait plus, ma brave dame... Je crois me souvenir qu'en 1959, elle parut en feuilleton sous la plume de François Terbeen (à vérifier...).
Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce sont les fameux nouveaux forçats de 1960. Mais ceux-ci sont moins revendicatifs...
Treizième étape, Toulouse-Millau 
Deux coureurs de l'équipe de France, le dossard 43, Claude Colette, et le dossard 52, René Privat, usés, fatigués, malades peut-être, roulent au train de sénateur devant le camion balai, un 1000kg Renault.
L'un d'eux, Privat (?), fut victime d'une crevaison et le camion balai est obligé de les attendre pendant la réparation.
Quand ils décident de s'arrêter au bistrot d'un petit village, le chauffeur du camion-balai les a-t-il rejoints ? Le règlement l'y autorise-t-il d'ailleurs ?
Car les deux compères prennent visiblement le temps de boire un coup...
 ...et de tailler la bavette avec les "sportifs" locaux qui n'en reviennent pas d'avoir deux coureurs du Tour de France rien que pour eux. Pensez donc, les autres sont passés tellement vite !
Puis, après avoir rempli leur bidon, ils sortent du mastroquet en discutant tranquillement pour...
...prendre place dans le camion balai.
Le vélo comme je l'aime !
Prendre le temps d'abandonner...
Reprenons les bonnes habitudes : un nouveau Thomas Pips.

2 commentaires:

  1. Là, y a du sport!!! Je ne sais pas ce que penserait la commission anti-dopage de"une fiole de cocaïne pour ses yeux, du chloroforme pour son genou, de l'aspi­rine et autres médicaments", mais au moins, on n'a pas l'impression de se retrouver face à "des machines à pédaler".
    Ils ont un cerveau et n'hésitent pas à donner leur avis!!! Je te vois bien dans le rôle de l'un des deux derniers, ceux qui ralentissent la voiture-balai: s'arrêter boire un coup, cueillir une fleur pour Madame, photographier un coq ou une plaque de cocher...

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