Mars 1966, voici exactement 50 ans, Miroir du Cyclisme consacrait un numéro à la gloire du... vélo.
Jacques Anquetil partageait la une de ce numéro avec un prolo, devant un atelier apparemment.
Et ce numéro 69 de la "revue mondiale du cyclisme" mérite vraiment que l'on s'y arrête.
On y trouve quelques belles plumes et quelques articles qui sont encore d'actualité aujourd'hui.
En ce qui me concerne, en 1966 , je ne lisais pas encore le Miroir mais je faisais déjà des courses de vélo comme je l'ai raconté dans un vieil article sur mon blog précédent : Mon vélo Louison Bobet
Pour ce numéro très spécial, bien sûr, Pellos ouvrait la marche.
Rien de nouveau sous le soleil... Le vélo : un sport de gamin et un sport de vieux, un sport de vieux gamins, de petits et de vieux galopins. L'idée me plait assez.
Sous ce tableau de Fernand Léger, Maurice Vidal éditorialise à propos de :
C'est donc un numéro qui célèbre la gloire du vélo que nous allons feuilleter ici.
C'est un grand cycliste qui lance le sprint, de loin... un cycliste inflexible, irréductible ! Qu'on le juge sur paroles.
Jacques Anquetil partageait la une de ce numéro avec un prolo, devant un atelier apparemment.
Et ce numéro 69 de la "revue mondiale du cyclisme" mérite vraiment que l'on s'y arrête.
On y trouve quelques belles plumes et quelques articles qui sont encore d'actualité aujourd'hui.
En ce qui me concerne, en 1966 , je ne lisais pas encore le Miroir mais je faisais déjà des courses de vélo comme je l'ai raconté dans un vieil article sur mon blog précédent : Mon vélo Louison Bobet
Pour ce numéro très spécial, bien sûr, Pellos ouvrait la marche.
Rien de nouveau sous le soleil... Le vélo : un sport de gamin et un sport de vieux, un sport de vieux gamins, de petits et de vieux galopins. L'idée me plait assez.
Sous ce tableau de Fernand Léger, Maurice Vidal éditorialise à propos de :
C'est donc un numéro qui célèbre la gloire du vélo que nous allons feuilleter ici.
C'est un grand cycliste qui lance le sprint, de loin... un cycliste inflexible, irréductible ! Qu'on le juge sur paroles.
"Le progrès mécanique aurait dû s'arrêter à elle, c'est-à-dire à la bicyclette,
cette amie, unique, de l'homme. Mais qui donc est l'ennemi ?
Le moteur qui engendre l'immobilisme,
cause de tous les maux dont souffrent les humains.
Au rythme où les uns et les autres s'entassent, s'empilent,
s'insèrent dans les véhicules dont ils deviennent les prisonniers,
... à la lumière tragique des faits concrétisés par une liste
hebdomadaire des tués sur les routes,
... au regard de l'incompréhension des usagers dont le plaisir est de rouler à la queue-leu-leu dans le relent des tuyaux d'échappement,
... compte tenu, enfin, que, par
ailleurs, l'homme, au labeur comme au repos, n'a plus qu'un seul geste à accomplir pour que tout fonctionne : appuyer sur un
bouton,
... il est à penser qu'en l'an 2000 il n'y aura plus, ici bas,
que des têtards, jambes et bras étant devenus inutiles, car l'on aura même remplacé le bouton par une « onde ». Il suffira d'y
songer.
Aujourd'hui, il n'est déjà plus besoin de poumons,
de cœur/ de foie, pour les immobilistes qui
ne dorment qu'à la poussée lente du tranquillisant et n'agissent qu'à la secousse d'un excitant doping.
Très bien,
dites-vous... Mais voyez-vous tout le monde à bicyclette ?
Oui Monsieur, oui Madame, oui
Mademoiselle, oui mon petit, oui vous, oui moi.
D'abord il n'y aurait plus
d'encombrement sur les routes, dans les rues, l'atmosphère serait pure, les perspectives de nos villes et de
nos campagnes ne seraient plus endiguées de tôles sans joie, le calme régnerait et la maladie n'aurait pas tellement cours,
car chacun gagnerait d'abord le droit d'avoir faim pour manger.
Ensuite, bien des budgets familiaux s'équilibreraient qui sont à la traîne avec trop de
notes à payer.
L'usage courant et rationnel de la
bicyclette, permet au corps de compenser utilement et économiquement ce qui lui manque en activité physique.
Il permet au cerveau de s'alimenter de
pensées, à l'esprit de les
exprimer, de s'extérioriser, de voyager. Le tout couronné par un sentiment de liberté indécouvrable autrement.
J'ai couru à vélo, beaucoup plus
qu'on croit parce que cela remonte loin. Il me semblait alors lue là résidait l'idéal. Ce n'était vrai qu'en
partie.
Lorsque j'eus à assurer la responsabilité fédérale ,
c'est-à-dire les autres, la fédération (de l'époque) retira ma licence d'indépendant. Je crus à
ma fin du monde.
Je me jetai alors frénétiquement dans le
cyclotourisme à longue portée. J'ai dit : frénétiquement. Il fut des années où je ne descendis pas
de vélo, où je ne pris pas le
train/ ni l'auto, ni l'avion, ni le bus, ni le métro.
Les plus infinies jouissances — je pèse mes mots — me furent offertes au fil de ces matins, de ces
soirs, de ces jours, de ces semaines, de ces ans, de ces lustres, de ce demi-siècle bien franchi durant lesquels je grimpai à tous les grands cols, longeai toutes les mers, me
prosternant devant un coucher de soleil, la vue d'un glacier ou d'un désertique plateau, peut-être aussi, le va et vient d'une fourmilière ou la poussée d'une fleur dans
un alpage.
Je roulai jusqu'aux antipodes.
Et aujourd'hui, je fais le point.
Pour avoir écouté le docteur Ruffier,
pour l'avoir suivi aveuglément au sortir de la guerre de 14-18
durant laquelle — bien forcé — j'avais baigné dans le sang, la boue, la mitraille et le malheur,
il m'apparaît que par le vélo, j'ai effacé toute séquelle de cette pernicieuse aventure.
Et qui mieux est ! Au moment où beaucoup se reposent, se lèvent mal, se plaignent, ont perdu toute illusion, toute
croyance, tout goût pour la beauté et le travail, je crois encore à tout.
Le docteur Ruffier m'avait tracé ma ligne de vie, aussi bien celle de jeune coureur à l'emploi du temps codifié, que celui du libre cyclotouriste dont les
possibilités deviennent incalculables au fil des
kilomètres.
Peu de temps avant de mourir, le
docteur Ruffier, frisant les 90 ans, m'avait encore conseillé :
- Faites chaque jour du vélo, sans omettre l'entretien de l'amplitude pulmonaire au moyen d'exercices respiratoires nombreux et journaliers, même à vélo, en lâchant ou non le guidon. Faites un quart d'heure de culture physique en souplesse mais rapidement menée. Marchez aussi beaucoup. Mais par-dessus tout, allez à vélo, c'est le seul moyen d'assurer au corps une irrigation sanguine appropriée et d'armer vos organes contre les vicissitudes de l'existence.
- Faites chaque jour du vélo, sans omettre l'entretien de l'amplitude pulmonaire au moyen d'exercices respiratoires nombreux et journaliers, même à vélo, en lâchant ou non le guidon. Faites un quart d'heure de culture physique en souplesse mais rapidement menée. Marchez aussi beaucoup. Mais par-dessus tout, allez à vélo, c'est le seul moyen d'assurer au corps une irrigation sanguine appropriée et d'armer vos organes contre les vicissitudes de l'existence.
Cher Docteur !!!"
C'est du lourd, ça ! Non ? Pour ma part, ça me va... bien sûr.
On retrouve ici un grand nom du cyclotourisme et de la promotion du vélo : le Dr Ruffier. Je l'avoue bien humblement, je ne le connaissais pas. Pourtant, il semble avoir eu quelque renommée voici un demi-siècle et plus ce cher docteur. James Edward Ruffier, né en 1875, mort en 1964, a encore des émules puisque les adeptes de Fédération européenne de culture physique fondamentale s'inspire toujours de ses enseignements.
Si l'histoire du cyclisme est jalonné des noms des grands champions, et des moins grands, l'histoire du cyclotourisme possède également ses héros, ses hérauts. Ainsi, de Paul de Vivie, alias Vélocio, au début du XXème siècle que l'on célébrera le prochain week-end pascal à Gigondas pour la prochaine concentration Pâques en Provence, jusqu'à Patrick Plaine, le cyclotourisme stakhanoviste qui accumula près de deux millions de kilomètres à la fin du XXème et au début du XXIème siècle, les exemples ne manquent pas. J'ai parfois l'occasion d'en évoquer d'autres sur ce blog.
L'invité suivant de ce numéro 69 du MdC est le Docteur Ruffier lui-même. Décédé quelques mois plus tôt, la revue reprend un extrait de son dernier ouvrage : "Pour bien vous porter, faites de la bicyclette, cet ouvrage posthume a été placé sous le patronage de la Fédération Française de cyclisme".
L'article est introduit ainsi :
"Le Dr James E. Ruffier fut, durant toute sa vie, un propagandiste fervent de la bicyclette et du cyclisme. Pratiquant de toujours, il étaya son enthousiasme sur une parfaite connaissance du sujet et des données scientifiques vérifiées depuis. Voici quelques extraits de son dernier livre (...)"
Après un bref rappel de l'évolution de la divine machine du célérifère au Grand-bi en passant par la draisienne. Il nous raconte son expérience de la bicyclette depuis son plus jeune âge.
On retrouve ici un grand nom du cyclotourisme et de la promotion du vélo : le Dr Ruffier. Je l'avoue bien humblement, je ne le connaissais pas. Pourtant, il semble avoir eu quelque renommée voici un demi-siècle et plus ce cher docteur. James Edward Ruffier, né en 1875, mort en 1964, a encore des émules puisque les adeptes de Fédération européenne de culture physique fondamentale s'inspire toujours de ses enseignements.
Si l'histoire du cyclisme est jalonné des noms des grands champions, et des moins grands, l'histoire du cyclotourisme possède également ses héros, ses hérauts. Ainsi, de Paul de Vivie, alias Vélocio, au début du XXème siècle que l'on célébrera le prochain week-end pascal à Gigondas pour la prochaine concentration Pâques en Provence, jusqu'à Patrick Plaine, le cyclotourisme stakhanoviste qui accumula près de deux millions de kilomètres à la fin du XXème et au début du XXIème siècle, les exemples ne manquent pas. J'ai parfois l'occasion d'en évoquer d'autres sur ce blog.
L'invité suivant de ce numéro 69 du MdC est le Docteur Ruffier lui-même. Décédé quelques mois plus tôt, la revue reprend un extrait de son dernier ouvrage : "Pour bien vous porter, faites de la bicyclette, cet ouvrage posthume a été placé sous le patronage de la Fédération Française de cyclisme".
L'article est introduit ainsi :
"Le Dr James E. Ruffier fut, durant toute sa vie, un propagandiste fervent de la bicyclette et du cyclisme. Pratiquant de toujours, il étaya son enthousiasme sur une parfaite connaissance du sujet et des données scientifiques vérifiées depuis. Voici quelques extraits de son dernier livre (...)"
Après un bref rappel de l'évolution de la divine machine du célérifère au Grand-bi en passant par la draisienne. Il nous raconte son expérience de la bicyclette depuis son plus jeune âge.
"(...)Tout enfant, j'ai connu cette rapide évolution de la bicyclette à Hastings, plage
anglaise ; je m'essayais sur des engins extraordinairement compliqués mais qui,
manoeuvres des pieds et des mains, roulaient en cahotant par les allées du Park
municipal. J'y pris quelques bûches, ce dont ma mère ne s'inquiéta pas tant
elle était persuadée que plaies et bosses sont utiles aux garçons. J'assistai
aussi à quelques courses de « Grand-Bi » disputées âprement sur l'incomparable
gazon britannique.
Un peu plus tard, en 1887, je trouvai à Asnières un jeune serrurier-mécanicien qui
louait des bicyclettes. Il tenait déjà la vélocipédie naissante pour un filon
industriel d'avenir. Je le retrouvai quarante ans plus tard, toujours à
Asnières, à la tête d'une grande usine automobile. Il s'appelait Chenard. Un
jour, le rencontrant, je crus bon de le féliciter de son allègre ascension sur
l'échelle sociale. Ce rappel de sa condition première le vexa. Il fit mine de
ne rien comprendre de ce que je lui disais et se déroba à ma conversation que
j'aurais voulu cordiale. Où l'amour-propre va-t-il se nicher ?
Je désirais pourtant le
remercier du service qu'il m'avait rendu, en 1889, en me louant pour un mois,
et contre 20 francs, une bicyclette Securitas, a corps droit, à roues cerclées
de caoutchouc creux, à
billes partout, même aux pédales (!) et qui devait bien peser 15 kilos. Sur cet
engin, déjà utilisé par les facteurs, les pompiers et les estafettes
militaires, j'entrepris des promenades quotidiennes autour d'Argenteuil où mes
parents habitaient. Enghien, Sannois, Sartrouville, Bezons me virent soulever
la curiosité publique et m'échapper à la poursuite enragée des chiens. J'étais
costaud et curieux ; j'allais de plus en plus loin. Je résolus de visiter
Chevreuse, village qu'on disait pittoresque, en pleine forêt de Rambouillet.
Muni de la carte routière Neal — la première du genre — et d'un petit pécule,
je partis de bon matin ; je passai par Bougival, Le Chesnay, Versailles,
Port-Royal, Dampierre, les Vaux de Cernay. Mes yeux plongeant dans les vallons
successifs, mesurant la pente des cotes à gravir, le joyeux tourbillonnement
de mes pieds dans les descentes, les clochers pointant au milieu des villages
fleuris. Quel beau voyage ! Que de découvertes ! Mon vélo développait 5 mètres,
en pignon fixe naturellement : roue libre et dérailleur étant alors inconnus.
Néanmoins, je ne fis les honneurs du pied à aucune des fameuses côtes qui
depuis ont motivé la renommée sportive de la vallée de Chevreuse. J'avais
quarante-cinq kilomètres dans les jambes lorsque, pris de fringale, je pus
m'attabler à l'hôtel-restaurant du Grand Courrier, situé dans la Grand-Rue de
Chevreuse. Il y est encore, mais assez modifié. Ce jour-là, le patron
m'accueillit cordialement, m'installa, prévint sa femme, à la cuisine, qu'un jeune vélocipédiste demandait
a manger et qu'il avait grand faim. Tout m'est resté nettement dans la mémoire,
les hors-d'oeuvre, saucisson, radis, galantine, beurre, le gigot tendre et
cuit à point, servi largement (deux tranches), haricots verts, fromage au
choix, pâtisseries, fruits, vin frais à discrétion, café, pousse-café ; note :
un franc cinquante centimes ! Et tout en dévorant cette magnifique pitance, le
récit que je dus faire au patron, à la patronne et à l'assistance. Quelle
gloire à savourer pour un gamin de quatorze ans. Repu et content, je m'en
retournais à Asnières ; j'y mis moins de temps qu'à l'aller, n'ayant plus à me
renseigner du chemin à prendre sur la carte ni auprès des villageois. Possédé
déjà par le démon sportif, je regrettais seulement de n'avoir pas atteint 100
kilomètres dans ma journée ; cela aurait mieux sonné que 90.
J'avais encore quinze jours de vacances devant moi. Je les passai
à rouler sur ma
Securitas. à la démonter pièpe par pièce, à la remonter, à la régler. Puis il
fallut rentrer à Sainte-Croix-de-Neuilly, et comme pensionnaire. Je n'eus plus
qu'un dimanche sur quatre où je pouvais trouver une bicyclette chez Chenard.
J'en profitais le plus possible, allant jusqu'à Chantilly, Pontoise, Meaux,
Meulan. Deux ou trois camarades de collège sur huit cents que nous étions
faisaient du vélocipède. C'était un grand sujet de causerie.
L'expansion rapide de cet étonnant moyen de transport émerveillait grands et petits. Des
noms de coureurs illustres : Terront, Mils, Jiel-Laval, Cassignard, Charron,
Zimmer-mann se partageaient nos préférences. J'avais plus le désir d'un beau
vélo que de passer mon bachot : mais les deux objets étaient liés, j'entends
que le vélo m'était promis si je réussissais au bachot. Grâce à la version
latine et à la composition française, j'obtins sans grand-peine la peau d'âne
des « lettres » ; et je pus me choisir une bicyclette au goût du jour.
Pendant ces trois années d'attente, le vélo s'était bien perfectionné. L'élan avait été
donné par les courses, notamment Bordeaux-Paris et Paris-Brest et retour. Le
pneu avait été inventé par Dunlop, amélioré par Michelin ; le cadre avait pris
forme, devenant pentagonal, sous le nom de cadre Humber ; on pouvait avoir des
vélos de course de 10 kilos et même moins. Le bon vélo courant, tout équipé, ne
pesait que 12 kilos. Mon premier vélo fut donc une La Française, à cadre
Humber, pourvue de pneus Continental démontables, montés sur des jantes en
mince tôle d'acier pesant 400 grammes, à peu près ce que pèsent actuellement
les jantes en métal léger. Elle coûta 800 francs (40 louis) à mon père, ce qui
équivaudrait à 1.600 nouveaux francs ou 160.000 anciens. Ce n'était pas à la
portée de toutes les bourses. La vélocipédie était un sport chic ; elle ne se
démocratisa que vers 1904 quand l'auto commença à s'imposer comme un signe de bonne situation
économique. Le temps a passé ; des légendes sont devenues lieux communs. On ne
parle des bicyclettes de la « belle époque » que pour affirmer qu'elles
pesaient 20 kilos et ne roulaient qu'à 10 ou 12 kilomètres-heure !
A la vérité, la bicyclette ne
se fabriquait pas en grande série ; elle était l'affaire de petites usines et
d'artisans de grande classe, tels les Herse, Routens, Moire et autres de nos
jours. Pour mes grandes vacances de bachelier, mon père m'envoya avec ma La
Française à Sallanches, en Haute-Savoie, pour y excursionner à mon gré. Je
découvris la montagne et les joies physiques et intellectuelles qu'elle peut
dispenser à ceux qui la parcourent en tous sens sur une fragile bicyclette.
J'acquis là un bon coup de pédale de montagnard. Avec mon développement unique
de 5 mètres, je montais à Chamonix ou à Megève en tenant un bon 10
kilomètres-heure et dévalant à 35 et même 40 à la cadence d'environ 110 à 125
tours-minute, ce qui n'a rien d'excessif po\ir quiconque sait pédaler en
souplesse, avec manivelles relativement courtes.
Revenu à Argenteuil et devenu
étudiant, je fis partie de la Société Vélo-cipédique d'Argenteuil, qui
comportait une cinquantaine de membres, jeunes bourgeois assez « bien de chez
eux ». qui, sous la direction de leur capitaine de route, faisaient de grandes
excursions dominicales, conduisant toujours à un hôtel situé à quelque cent
kilomètres, à Vernon, Compiègne, Malesherbes, et où la cuisine était copieuse.
En fait d'admiration du paysage, « on se tirait la bourre farouchement »,
aussi acharnés à décoller les copains qu'aujourd'hui les automobilistes à
dépasser toute voiture qu'ils rencontrent sur leur chemin.
D'autre part, en fait d'études médicales, je m'occupais surtout de m'entraîner à vélo ;
tours de Long-champ, au bois de Boulogne et dures excursions sur la route de
Versailles et ses prolongements, sur les routes de Chantilly, Malesherbes,
Etampes, Beauvais, Coulommiers ; je me mettais en forme. Il en résulta que je
fus honteusement recalé à mon premier examen d'anatomie et que je gagnais
brillamment, sur la route de Versailles à Choisy-le-Roi, le premier Championnat
des Etudiants en Médecine. D'autres succès secondaires affermirent ma passion
sportive. Appelé alors « sous les drapeaux », j'emmenai ma bicyclette d'abord
au Havre où je pus m'en servir un peu, puis à Grenoble où elle me fut très
utile. Faisant fonction de médecin auxiliaire au 14- Chasseurs Alpins — ce qui
consistait à peu près à ne rien faire — je parcourus tous les environs de la
capitale des Alpes, Bourg d'Oisans, Mens, la Chartreuse, le Vercors.
Libéré de mes dix mois de
service militaire, je vins reprendre au quartier Latin ma vie de brasserie et
de coureur cycliste amateur. Assidu de la piste en terre battue établie au
Champ de Mars, puis de la coquette Piste Municipale, j'acquis une petite
notoriété sportive en gagnant pour la deuxième fois le Championnat des
Etudiants en Médecine et quelques courses, telles Orléans-Blois-Orléans.
Paris-Meaux-Paris, et enfin en établissant sur piste, en 1 minute 14 secondes, le record
amateur du kilomètre lancé, ce qui n'était alors qu'à une seconde du record du
monde.
Puis mon père, dont les affaires
allaient mal, me mit en demeure de passer mes examens sous peine de me voir
couper les vivres. J'avais perdu l'habitude d'étudier. Le besoin de manger à ma
faim m'obligea à m'y remettre, de sorte que je pus trouver gite et couvert à
l'Internat de l'Hôtel-Dieu d'Orléans. Je passai là deux ans de grand
travail, rattrapant tout le temps perdu à jouer au bohème pédalant. Il me
restait tout de même quelques heures par jour pour mener par les
plates Beauce et Sologne ma fringante et nerveuse Triumph. Après la montagne couronnée de neiges éternelles,
la plaine aux blés frémissant sous le vent ; après le développement de 5 m 20,
le puissant 6 m 60 ! Tous les samedis à midi, départ à vélo pour Argenteuil où
j'allais voir mes parents ; retour le lundi pour reprendre mon service
d'interne à 2 heures. Je menais de front mes activités intellectuelles et
physiques, me faisant la preuve que cela pouvait se faire ; ce qui m'engagea à
me cpnduire de même tout le reste de ma vie.
Mon diplôme de médecin conquis,
je m'installai à Argenteuil, auprès de mes parents. Ma bicyclette, puis un beau
tricycle Humber me servirent à « faire mes visites » plus facilement et
plus rapidement que mes confrères encore contraints à rouler en calèche ou
berline. Après m'être assuré que le cyclisme lui plairait, je choisis celle qui
devait être l'aimante et dévouée compagne de toute ma vie. Ce fut dès lors à
tandem que je passai loisirs et vacances. Bien que le « vélo à deux places »
fût tombé en désuétude pour ne reprendre vogue qu'après la guerre 1914-1918,
nous roulâmes sur cet insolite engin par Normandie, Bretagne, Vendée,
Touraine, Bourgogne, Dau-phiné, Savoie. Hautes et Basses-Alpes, Provence, côte
d'Azur. Le léger tandem Abingdon et la vaillance de mon équipière me
permirent pendant vingt ans ces prouesses cyclotouristiques.
Puis le « Club des Ancêtres »,
réunion des vieux mordus du vélo, me compta parmi ses membres et me
fournit l'occasion de participer à des courses de vétérans sévères et fréquentes.
Un peu plus tard, Cannes et ses environs, de Menton à Marseille et de Grasse
jusqu'en haute Provence m'offrirent un magnifique champ d'excursions et
randonnées. Pendant l'occupation, jusqu'à 1943, je fis partie du « Club des
Douze », qui permettait à une centaine de jeunes hommes de se distraire des
tristesses du temps en courant à bicyclette. Malgré mes soixante ans passés, je
me classai assez honorablement dans quelques-unes de ces courses ; j'en gagnai
même une belle « contre la montre ». Enfin, rentré à Paris encore occupé, je
repris ma bicyclette pour assurer le ravitaillement et le tandem pour emmener
ma femme au Bois, à Chevreuse ou à quelque autre coin champêtre. Après la
Libération, je repris mes promenades solitaires, l'entraînement au Bois trois
fois par semaine, mes longues promenades du dimanche. Enfin, revenu définitivement
à Cannes, en tant que médecin retraité, je reste cyclotouriste impénitent,
familier du Tour de l'Esterel, de la montée à Grasse, d'expéditions à droite et
à gauche de la route Napoléon, de l'aller et retour à Monte-Carlo par des
itinéraires variés.
Cette fidélité à la bicyclette me
classe parmi les plus riches accumulateurs de kilomètres à vélo, car à la dose
de 20.000 kilomètres par an, cela donne un million de kilomètres parcourus ;
encore faut-il ajouter ce que j'ai parcouru en fin de carrière, de 1939 à 1962
: ce qui doit bien faire 200.000 kilomètres de plus.
Je ne donne pas ce curriculum de ma pratique de la bicyclette pour
en tirer vanité ; ce n'est qu'une
sorte de référence que je donne aux lecteurs de ce livre pour les persuader que
les opinions que j'y émets et les conseils que j'y donne sont d'un homme qui
connaît ce dont il parle.»
Voici donc une belle leçon de cyclisme du XIXème siècle ! Pour continuer à feuilleter notre beau magazine, nous avons rendez-vous avec un autre grand cyclotouriste : Jacques Faizant.
Et même des tandemistes donc... Il livre aussi des articles plein d'humour même si tout est, presque, dit dans le dessin.
Et même des tandemistes donc... Il livre aussi des articles plein d'humour même si tout est, presque, dit dans le dessin.
LES COUREURS ET NOUS
Jacques
Faizant, humoriste de talent, à qui nous devons tant de vieilles dames attendrissantes
et de marins en goguette, est aussi un fervent de la bicyclette. II ne se veut
ni Anquetil, ni un « rigolo qui va aux pâquerettes ». Les plus longues
randonnées ne l'effrayent pas
et il estime qu'entre cyclistes tout n'est qu'affaire de vocabulaire...
"L'AMUSANTE querelle familiale des « cyclo-sportifs » et des cyclotouristes dits « contemplatifs », qui agite depuis fort longtemps les milieux
cyclotouristiques s'était, jusqu'à présent, cantonnée dans les revues spécialisées et, hélas, quasi confidentielles. Grâce au Miroir du Cyclisme le
cyclotourisme acquiert, enfin, droit de cité dans la grande presse et, du même coup, les frères ennemis portent leur débat sur la place publique, ce qui ne laisse
pas d'étonner ceux qui
pensaient que le vélo, s'il raffermissait
le caractère, adoucissait les mœurs.
De quoi s'agit-il ?
Les « contemplatifs » et les « sportifs » se lancent leurs cyclismes à la tête. Les premiers légitimement ulcérés d'être considérés comme des dinosaures attardés, des traîne-patins et des cueilleurs de pâquerettes, voudraient bien que l'on
reconnaisse qu'ils font souvent de sévères randonnées, parfois d'excellentes performances et toujours
du sport, dès l'instant où ils font sérieusement du cyclisme. Le « contemplatif », quand il monte un col alpestre (serait-ce
avec 30x18) est persuadé, à juste titre, qu'il pratique un sport, même si son temps n'est pas homologué, même s'il prend des photos en cours de route et
même s'il lui arrive de
s'allonger un instant dans l'herbe, sous le prétexte fallacieux de chercher son bouchon de
valve. Il a raison.
Le « cyclosportif », lui, le nez dans le cintre et l'œil sur le chrono, roule de nuit et de jour,
cale-pieds serrés, à la poursuite d'un temps, d'un brevet, d'une médaille ou d'une victoire sur lui-même. Il trouve tout à fait péjorative l'étiquette de « touriste » qui s'attache à sa roue du seul fait qu'il n'est pas « coureur cycliste ». Il n'a pas tort.
L'un et l'autre sont cependant, uniquement et avant tout des cyclistes
qui pratiquent l'un ou l'autre des sports du cyclisme. Ils ont le même amour fanatique de la bicyclette et se
retrouvent au coude-à-coude pour la défendre quand, d'aventure, elle est mise en
accusation par les cyclo-phobes.
Il
apparaît donc que ce qui sème la zizanie chez ces braves n'est rien de
plus que le mot « tourisme » dont il faut bien reconnaître qu'il affadit quelque peu la notion du
sport cycliste qu'il définit.
« II m'arrive d'être gêné par le mot « tourisme » accolé à notre cyclisme. » Ce n'est pas moi qui dit cela. C'est M. Ch. Antonin, en 1947,
lorsqu'il était président de la Fédération Française de Cyclotourisme. Je sais toute l'indélicatesse qu'il y a à séparer une phrase de son contexte mais,
faites-moi confiance, le contexte n'est pas loin du sens général de ces lignes écrites
dix-neuf ans plus
tard. Apparemment, cela ne s'est
pas arrangé entre temps.
Il est
remarquable (et désolant) que les sports
du cyclisme soient les seuls qui s'accompagnent officiellement du mot « tourisme ». L'alpiniste n'apprécie pas moins que nous les beautés du site et les splendeurs du paysage. Est-il
alpino-touriste pour autant ? Et le skieur de fond, skiotouriste ? Certains
journaux profanes, égarés par l'assonance, nous traitent parfois de « cyclomotoristes » quand ce n'est pas de « touristes-routiers » avatars qui n'arrivent jamais aux sportifs des
autres disciplines, mais qui laissent les nôtres un tant soit peu vexés.
Ne
serait-il pas plus simple de nous considérer tous comme des cyclistes, appellation
qui ne souffre pas d'équivoque, que nous
chassions la médaille d'or ou le cloître du XVIIIe.
On s'inquiétera peut-être de la manière dont se ferait, alors, la discrimination nécessaire entre les « coureurs » et nous. Je ne vois pas où serait la difficulté. Les cyclotouristes et cyclosportifs n'ont
jamais été, que l'on sache, confondus avec les
champions, encore que les enfants crient volontiers « Vas-y Bobet ! » sur leur passage. Mais il s'agit là d'enthousiasme juvénile et les connaisseurs ne s'y trompent pas.
Les skieurs ordinaires s'aventurent sur les pistes sans avoir le complexe
paralysant d'être pris pour J.-C.
Killy. Ce qui n'arrive d'ailleurs jamais.
Sur le
plan officiel, les cyclistes de compétition sont groupés au sein de la Fédération Française de Cyclisme où nous n'avons rien à faire. Pour nous, imaginons que notre
F.F.C.T. transforme son titre (et non ses buts ni ses règlements) en Fédération Française des Sports Cyclistes, cela ne voudrait-il
pas mieux dire ce que ça dit ?
Il ne
s'agirait que de changer un mot. C'est peu et c'est beaucoup. Essayez donc
d'appeler « cavalotouristes » les cavaliers qui font de la randonnée. Vous verrez comme ils seront contents !
Je sais
bien que, si nous voulons faire partager notre conviction que le cyclisme est
une religion, il n'est pas malhabile d'y laisser subsister des schismes. Mais,
en ces temps où l'union fait plus que
jamais la force, il peut être maladroit d'y perpétuer des divisions artificielles qui ne
reposent que sur des questions de terminologie.
Nous
n'irons pas jusqu'à demander que tous les
cyclistes du monde veuillent bien se donner la main, car, outre le côté grandiloquent de la chose c'est sûrement interdit par le code de la route. Mais
qu'ils veuillent bien seulement se donner le mot.
Et les sports
cyclistes, tous les sports cyclistes auront peut-être, enfin, le vent dans le dos."
L'antagonisme, pour ne pas dire plus, entre coureurs, cyclosportifs et cyclotouristes existe toujours. Et je n eparle même pas des "vélotafeurs", des "vélo-vintageurs", des cyclistes des villes...
Autre plume du Figaro, Paul Guth, rend hommage à la bicyclette comme moyen de locomation.
L'UNION nationale des deux-roues
pousse un cri d'alarme. Elle déplore « un réel mépris à l'égard de la bicyclette, d'où une certaine carence pour protéger sort usage et pour mettre fin a l'anxiété grandissante des mères de famille vis-à-vis des jeunes, des
adultes ou des anciens qui se servent de ce mode de locomotion par nécessité, par hygiène ou par conviction pour leurs déplacements de travail ou de loisir ». Elle me prie, ainsi que ses autres adeptes
convaincus, d'exprimer mon opinion sur un Livre d'or de la bicyclette que l'on
remettra aux pouvoirs publics et à la presse.
La bicyclette, aujourd'hui ravalée au rang de l'âne des transports,
est une des plus extraordinaires inventions humaines, Jacques Faizant vous l'a
dit avant moi. Elle est le seul mode de locomotion qui permet à l'homme d'être son propre
moteur. Assis entre ses deux roues comme entre deux planètes, le cycliste prend conscience de sa force en
mesurant ses limites. Il va beaucoup plus vite que le piéton. Mais il ne peut pas en concevoir de l'orgueil
ni se griser de sa liberté. Il paie de sa sueur toute accélération de vitesse,
toute extension de son parcours.
A l'âge d'or de la
bicyclette, les médecins et les journaux la considéraient comme une panacée. Elle activait la
respiration. Elle oxygénait le sang. Elle développait les muscles. Elle terrassait la
tuberculose. Elle encourageait l'esprit d'entreprise. Elle libérait la femme, presque trop, gémissaient les fâcheux, louchant sur
sa jupe-culotte. Adorée, encensée, la petite reine trouvait son épopée dans « Les Copains », de Jules Romains,
Iliade de l'amitié.
Les chefs-d'oeuvre et les vins révèlent leurs même de la
bicyclette. Elle apparaît aujourd'hui
mobile. La bicyclette est une des rares inventions est pas de même de l'aviation, qui sert la guerre, blindé. L'automobile développe la démesure, que péché mortel capital et que les dieux punissaient ves de
leur passion de dominer, qui écrasent les
vertus en vieillissant. Il en est de
comme l'antidote moral de l'auto-qui ne servent qu'au bien. Il n'en
, ni de l'automobile, qui enfanta le
les Grecs considéraient comme le
de mort. Elle fait des tyrans,
escla-autres. Elle élève sur le trône de la vitesse
les plus faibles, qui se vengent de leur impuissance en disposant d'une force mécanique sans commune mesure avec leur infirmité. Comme au temps d'Eschyle les dieux punissent ces
despotes. Sur les routes, transformées en champs de
bataille, ils deviennent des milliers de morts.
Les pouvoirs publics se déclarent désarmés. Que ne se tournent-ils vers la bicyclette ? Face
aux Hitler de l'automobile, elle fait des hommes libres. Elle «xerce l'humilité autant que les
mollets. Elle donne à l'homme le sens du possible et du mérite en lui faisant payer chaque victoire d'un
surcroît d'effort. Face à la civilisation mécanique, génératrice de robots,
elle stimule l'initiative. L'automobile encourage l'apathie musculaire. Elle
transforme ses adeptes en hommes-troncs transportés, à la vitesse de l'éclair, sur des chars
de guerre qui sèment la mort. La bicyclette exerce les
muscles et fabrique des hommes forts, équilibrés et sages, comme tous ceux qui possèdent la vraie force.
A toutes ces vertus il s'en ajoute une
autre, qui devrait faire dresser l'oreille aux pouvoirs publics. « S'il advenait que certains cyclistes se découragent et se servent d'un véhicule à quatre roues, la
circulation et le stationnement dans toutes les villes et sur toutes les routes
deviendraient assurément encore plus difficiles », déclare l'Union
nationale des deux-roues.
Aux embouteillages causés par l'automobile, qui frapperont bientôt nos villes de paralysie totale, la bicyclette
apporte son remède. Circulez i bicyclette : vous
renforcerez votre santé et vous rendrez à la circulation sa fluidité, tout en supprimant la pollution atmosphérique, due en grande partie aux gaz d'échappement des moteurs et qui rendront bientôt la vie impossible dans les grandes villes.
L'humble bicyclette se venge aussi, comme récemment à New York, dans tout autre cas de paralysie de la civilisation mécanique, notamment pendant les grèves des transports. Considérée comme la panacée de la Belle Epoque, elle sera, si on veut la comprendre, celle du siècle de l'atome.
A SUIVRE...
J'attends avec impatience la suite ! Bravo et merci ! Magnifique photo de couverture. Tu parles de "prolo", ouvrier mécano sans doute. Je crois me souvenir que le Miroir du cyclisme appartenait au même groupe que l'Huma...
RépondreSupprimerMerci pour ton commentaire. Et en effet, Miroir du cyclisme était dans la "mouvance" du Parti communiste français. D'ailleurs quelques-uns de ses journalistes étaient militants, et même dirigeants, du PCF. Ce qui ne les empêchait pas d'accueillir des auteurs et dessinateurs "réactionnaires". C'était vraiment une autre époque où l'on pouvait parler de presse d'opinion, même en matière de sport. Autres temps...
RépondreSupprimerFormidable panégyrique à la gloire du vélo de René Chesal !
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