Je continue l'exploration de ce numéro rare du Miroir. Miroir, qui mérite son nom en ce qu'il donne à voir d'une époque, et même plusieurs époques,, que les moins de 30 ans, 40 ans...etc...etc...
C'est une autre grande plume qui va nous intéresser maintenant, Jacques Augendre.
Né en 1925, il a suivi 55 Tours de France, mais dans son article de mars 1966, il nous parle de tout autre chose : les épreuves de Gentlemen.
Et il sait de quoi il parle, il a mis la main à la pâte...
Né en 1925, il a suivi 55 Tours de France, mais dans son article de mars 1966, il nous parle de tout autre chose : les épreuves de Gentlemen.
Et il sait de quoi il parle, il a mis la main à la pâte...
"J’ai participé, une fois, au Grand Prix des Gentlemen sans
entrainement. C'était une expérience de journaliste, une expérience fâcheuse, je le concède. « Un truc pour voir » qui, visiblement, n'était pas au point.
Je me suis juré de ne plus recommencer. Il faut avoir
souffert sur un vélo pour comprendre. Il faut avoir monté les côtes en danseuse, les
jambes droites comme des piquets parce qu'on ne peut plus plier les genoux ; il
faut avoir souhaité la crevaison, tandis qu'un tisonnier
vous ramone l'œsophage ; il faut avoir éprouvé la pénible impression de se dédoubler et d'assister à son propre
calvaire...
J'entends encore mon bon camarade
Fernand Choisel, témoin de cet exploit peu glorieux, qui
m'observait pendant que je revenais lentement à
la vie, effondré dons l'herbe :
— Alors, tu les craches, tes gauloises
?
Je les ai crachées pendant quinze jours.
Rincé dans l'enfer du
Nord, Louis Caput « comptait les pavés »... moi, je n'aurais
même pas pu compter les pavés, car je ne voyais plus clair. Je ne marchais pas à câté de mes pompes, pour reprendre une autre expression de Petit Louis, mais derrière, loin derrière.
Et c'est une femme qui m'avait mis
dans cet état ! A la place d'un entraîneur, j'avais choisi une entraîneuse. Une fille charmante, solide, respirant la
santé. Janine Lemaire. Elle avait battu le
record de l'heure féminin en couvrant plus de 40 km sur la
piste du Vigorelli. Je dois lui avouer que j'avais monté un boyau ultra-léger, à l'arrière en me disant que
la tâche serait un peu mains rude et en spéculant sur une éventuelle crevaison,
toujours possible. Pardon, Janine.
Elle flatta mon orgueil de mâle en déclarant .-que
j'avais été courageux.
Courageux ? Ce mot me paraissait faible. J'avais présumé de mes possibilités. J'avais frisé la témérité et l'infarctus par la même occasion.
Mort docteur eut le mot de la fin : — La prochaine fois, mon vieux, — et c'était bien le cas de
le dire car j'avais vieilli d'un seul coup — la prochaine fois
vous coulerez une bielle... C'est ce qui se passerait si vous soumettiez votre
voiture à un régime identique.
J'en suis arrivé à cette conclusion
qu'il existait deux méthodes pour préparer et pour courir le Grand prix des Gentlemen. La
méthode raisonnable et la méthode désespérée. Ou bien s'entraîner pendant trois
mois minimum. Ou bien prendre le départ au pied levé après une nuit blanche,
arrosée ou Champagne.
En grande forme ou sur les nerfs, à la rigueur... Mais la prochaine fois, s'il y a une
prochaine fois, c'est la première que je choisirai."
Les courses de "Gentlemen" sont donc ces courses contre-la-montre qui associent un coureur en exercice à un "non-coureur" plus âgé.
"(..)Le gentleman — ou le gentilhomme — est entraîné par un coureur en activité mais il ne faut pas croire qu'il s'agit d'une formalité pour le coureur. Les pros appréhendent ce genre d'efforts : ou bien leur partenaire
n'est pas à la hauteur et, à la fin de la course, ils ont mal aux bras (à cause de la poussette), ou bien l'équipier est un « saignant » et alors, ils risquent d'avoir mal aux jambes..."
Pour ma part, je n'ai jamais participé à ce genre d'épreuve. en fait, je n'en ai jamais eu l'occasion. Pourtant, j'ai consacré un message de ce blog à la Gentlemen de La Ferté Gaucher de 2010, quand d'anciennes gloires cyclistes étaient conviées dans ma cité briarde.
Gentlemen Jean-Claude Pinard 2010
Le matin, Laurence et moi avions roulé avec ces anciens cyclistes pros pour une petite randonnée amicale qui empruntait le circuit de la course de l'après-midi.
Ainsi avions-nous roulé avec Freddy Maertens, Roger De Vlaeminck, Claudio Chiappucci...
J'ai roulé avec Freddy, et Roger, et Claudio...
Cette course existe toujours mais les vieilles gloires y ont disparu.
Dans la suite du MdC qui nous occupe ici, c'est justement une vieille gloire qui prend la suite de Jacques Augendre et des gentilhommes.
Et Eugène Christophe mérite le titre de Gentilhomme, je crois. Né en 1885, le Vieux gaulois reste l'un des personnages le plus emblématique du vélo.
Ses deux fourches cassées et réparées par ses soins alors qu'il était (peut-être) en train de gagner le Tour de France en 1913 (Ah ! la mythique forge de Sainte Marie de Campan !) et en 1919 (Lors de la dernière étape.), le premier Maillot jaune du Tour en 1919, l'ont fait entrer dans la Légende des cycles.
Christian LABORDE dans ses Vélociférations lui rend un hommage magnifique, ainsi d'ailleurs qu'à d'autres héros de la grande (et la petite) histoire du Tour de France.
Cette vidéo est un "pot-pourri" de ce bel objet, à la fois spectacle, livre et disque. On retrouve Eugène Christophe vers les 4'50", et ça donne envie d'acheter le livre (Le pas d'oiseau éditeur, une bonne adresse).
Mais revenons en 1966, à la page 16 du Miroir où Claude Parmentier narre sa rencontre avec le vieux champion.
« D'ailleurs, les moustaches c'était un piège à chocolat et comme je prenais beaucoup de
chocolat pendant les courses, ça faisait vraiment moche... »
Nous continuerons à feuilleter le magazine pour retrouver Jean Bobet, Roger Baumann, Pierre Roques, les néo-pros de l'année 1966 et Henri Anglade.
Gentlemen Jean-Claude Pinard 2010
Le matin, Laurence et moi avions roulé avec ces anciens cyclistes pros pour une petite randonnée amicale qui empruntait le circuit de la course de l'après-midi.
Ainsi avions-nous roulé avec Freddy Maertens, Roger De Vlaeminck, Claudio Chiappucci...
J'ai roulé avec Freddy, et Roger, et Claudio...
Cette course existe toujours mais les vieilles gloires y ont disparu.
Dans la suite du MdC qui nous occupe ici, c'est justement une vieille gloire qui prend la suite de Jacques Augendre et des gentilhommes.
Et Eugène Christophe mérite le titre de Gentilhomme, je crois. Né en 1885, le Vieux gaulois reste l'un des personnages le plus emblématique du vélo.
Ses deux fourches cassées et réparées par ses soins alors qu'il était (peut-être) en train de gagner le Tour de France en 1913 (Ah ! la mythique forge de Sainte Marie de Campan !) et en 1919 (Lors de la dernière étape.), le premier Maillot jaune du Tour en 1919, l'ont fait entrer dans la Légende des cycles.
Christian LABORDE dans ses Vélociférations lui rend un hommage magnifique, ainsi d'ailleurs qu'à d'autres héros de la grande (et la petite) histoire du Tour de France.
Cette vidéo est un "pot-pourri" de ce bel objet, à la fois spectacle, livre et disque. On retrouve Eugène Christophe vers les 4'50", et ça donne envie d'acheter le livre (Le pas d'oiseau éditeur, une bonne adresse).
Mais revenons en 1966, à la page 16 du Miroir où Claude Parmentier narre sa rencontre avec le vieux champion.
"TOUJOURS alerte, malgré ses 81 ans sonnés depuis le 22 janvier dernier, le père
Christophe pourrait être une vivante
illustration du livre du
Dr Ruffier « Pour vous bien porter, faites de la
bicyclette ».
Pour se bien porter, rassurez-vous, le "Vieux Gaulois" se porte bien... et ne porte pas ses 81 ans.
Sans doute parce qu'il fait toujours de la bicyclette.
De plus, il a la santé et ce qu'il convient d'appeler une bonne santé. Bon pied, mais meilleur coup de pédale — « A mon âge, je fatigue moins à vélo qu'à pied » — bon œil — malgré les lunettes —, bon coup de fourchette et ne crachant ni sur
le tabac ni sur le bon vin, le « père » Christophe est un solide vieillard qui nous
fera peut-être le plaisir d'être le premier centenaire du cyclisme et que
nous aimerions avoir comme grand-père. Rien que pour l'écouter raconter ses souvenirs le soir au coin du
feu.
Car il en a des souvenirs le père Christophe. Et à la pelle, tous clairs, nets et précis remontant loin dans le temps à l'époque héroïque... où l'on ressoudait soi-même sa fourche dans une forge à Sainte-Marie-de-Campan... C'était dans le Tourmalet en 1913.
« Eh oui ! 10 km à pied avec le vélo sur l'épaule pour trouver une forge. Il fallait savoir
bricoler, se servir de ses mains à cette époque. Ce n'est plus comme aujourd'hui... »
[Petit apparté (J'aime bien les appartés, les digressions...)
Pourtant ce dessin de Pellos est fort réaliste... Et le Miroir est parti à la recherche du Gamin responsable de la pénalité pour avoir actionné lé soufflet de la forge. Et il en des choses à raconter, le vieux paysan pyrénéen, depuis qu'il regarde passer le Tour sur la route du Tourmalet.
Mais reprenons l'article de 1966...]
[Petit apparté (J'aime bien les appartés, les digressions...)
Eugène Christophe en route vers le Tourmalet à 75 ans passés. |
Le père Christophe revenait de temps à
autre sur les routes de ses anciens exploits pyrénéens et j'ai retrouvé un article
paru dans le MdC n° 187 de juin/juillet 1974 qui revient, 4 ans après la mort
du champion, "sur les traces d'Eugène Christophe". On y retrouve le "gamin"
qui aida, si peu, si peu, le coureur à réparer la fourche cassée. Ce qui valut
d'ailleurs à Christophe une pénalité de 10 minutes de la part du commissaire
qui surveillait Christophe dans la forge de sainte Marie de Campan (Christian
Laborde l'imagine fort bien d'ailleurs ce commissaire chargé par Henri
Desgranges de faire appliquer, à la lettre, le règlement du Tour).
Bien entendu, il n'y a aucun
témoignage visuel de cet épisode de la Légende du Tour.
Pourtant ce dessin de Pellos est fort réaliste... Et le Miroir est parti à la recherche du Gamin responsable de la pénalité pour avoir actionné lé soufflet de la forge. Et il en des choses à raconter, le vieux paysan pyrénéen, depuis qu'il regarde passer le Tour sur la route du Tourmalet.
Mais reprenons l'article de 1966...]
II ne vise personne en particulier, mais suivez son regard. Il est
circulaire.
« De mon temps, nous
avions un métier. Moi, tenez, si je
n'avais pas été serrurier, un métier qui exige de savoir travailler le fer, le
bois, limer, forger, que croyez-vous qu'il me serait advenu dans le Tourmalet ?
Mon apprentissage je l'ai fait rue Chapon, dans le 3ème arrondissement. Le
magasin existe toujours. Il n'y a pas longtemps, je suis passé devant et ça me fait toujours quelque chose."
Car le père Christophe ne circule
pas autrement qu'à bicyclette.
Et c'est avec sa fidèle bicyclette, « légèrement démodée » mais nantie de sacoches qui rappelle que le vélo est aussi un engin utilitaire, qu'il effectue
trois fois par semaine le trajet Malakoff-Paris au milieu des embouteillages
pour venir voir sa « petite paralytique »... qui doit friser les 70 ans !
« Pensez donc, la pauvre
fille, elle habite au 5ème dans un immeuble où il n'y a pas d'ascenseur, alors il faut bien
que quelqu'un lui fasse ses commissions. Ça me donne un but dans la vie, l'impression d'être utile. Je lui ai aménagé un fauteuil roulant pour qu'elle puisse circuler
plus librement dans son appartement. C'est terrible d'être comme ça à son âge... »
Pardon, il vient aussi dans le centre de la capitale pour assister
aux réunions de la Commission
de cyclo-cross dont il est vice-président.
Le père Christophe est comme ça. Il ne se sent pas vieillir et se soucie de
son régime comme de sa première brosse à moustaches.
Eugène Christophe en 1908 : les belles moustaches ! |
Attablé devant un solide
couscous, il évoque ces fameuses
moustaches qui lui valurent le surnom de « Vieux Gaulois ».
« Croyez-moi, elles étaient belles ces moustaches. Les pointes dans
les oreilles. »
Tout un programme.
« C'est en
1910 qu'un photographe italien
a pris cette photo de moi
avec mes bacchantes. Juste
avant le départ d'un Milan-San Remo dont je me souviendrais
toujours. Je l'ai gagné par 30 centimètres de neige.
Nous étions partis 80 et nous
sommes arrivés à 3 seulement. Et
encore, le troisième
nous ne savons toujours pas s'il est arrivé par la
route ou par le train...
Ah ! nous étions jolis avec nos
moustaches. Les miennes me pendaient tristement sous le menton. C'était un inconvénient fâcheux pour la photo du vainqueur à l'arrivée.
Georget aussi avait
laissé pousser les siennes,
mais comme il était aussi moche que
moi, nous avons décidé de nous les faire raser en 1912. Après, les Faber ont remis ça à la mode... »
L'air de dire... « Ces galopins de Faber... »
Le problème de l'alimentation à l'époque d'Eugène Christophe n'était pas le même que de nos jours. La diététique moderne n'était pas née.
« Oh ! non, nous ne nous
posions pas tellement de problèmes à cette époque. Le bon vin n'a jamais fait de mal à personne, n'est-ce pas ? Tenez, vous savez
pourquoi Léon Georget a été surnommé le « brutal »? Eh bien c'est parce qu'il en buvait. Oui, il
en mettait même dans son tapioca.
Mais du Bordeaux. C'est à un journaliste, Robert
Coquel, de l'Echo des Sports, qu'il doit ce surnom parce qu'à un certain Bol d'Or, il n'avait pas digéré sa mixture et que c'est la piste sur laquelle
nous courrions qui a recueilli le « trop-plein »...
Cette histoire de Léon Georget rappelle à Eugène Christophe une autre anecdote, mais aussi
deux belles victoires dans Bordeaux-Paris.
Eugène Christophe, emmené par ses entraineurs, s'apprête à remporter son deuxième Bordeaux-paris en 1921 |
« J'ai gagné deux fois de suite Bordeaux-Paris. La première fois en 1920, sous une pluie diluvienne, et
la seconde en 1921 par une chaleur sénégalienne. Cette année-là, croyez-moi, je n'ai battu que des hommes
saouls qui buvaient bouteilles de Champagne sur bouteilles de Champagne, à tel point que certains titubaient sur la
route. Moi j'avais fait attention, je m'étais méfié, et je n'ai commencé à boire qu'à partir de Limours... »
[ Deuxième petite digression... J'ai retrouvé le compte-rendu que le champion faisait de sa course dans ce numéro 47 du Miroir des sports et il n'y est pas question de champagne...
[ Deuxième petite digression... J'ai retrouvé le compte-rendu que le champion faisait de sa course dans ce numéro 47 du Miroir des sports et il n'y est pas question de champagne...
Mes
impressions par Eugène Christophe
DANS ses grandes lignes,
ma course de 1921 a été exactement l'inverse de
celle de 1919. Il y a deux ans, je me suis trouvé en excellente
condition, depuis le départ jusqu'à
Blois et même au delà. Dimanche dernier, au contraire, j'ai peiné et été
à l'ouvrage pendant plus de 400 kilomètres. C'est seulement à partir
d'Orléans que jesuis redevenu moi-même, que
j'ai été à mon affaire et que j'ai roulé vraiment à mon aise.
Comment expliquer ce
malaise dont j'ai souffert pendant les deux tiers du parcours? A Bordeaux, au départ, je
m'étais réfugié, pour laisser passer l'orage, sous un store qui eut la
fantaisie inattendue de crever et de déverser sur ma tête une douche que je ne
désirais nullement. J'avais mangé peu de temps auparavant : cette baignade
a-t-elle provoqué en moi une sorte d'indigestion? Toujours est-il que pendant
tout le parcours, je n'ai pu manger que des bananes, du sucre et un peu de riz.
Mes forces étaient
limitées, et j'étais inquiet sur l'issue de la course : à certains moments, je
n'aurais pas parié cher sur ma chance. A tel point qu'à Blois, j'ai consenti
très volontiers à passer mes entraîneurs volants Honoré Barthélémy et Romain
Bellanger à mon concurrent et co-équipier de la « Sportive », Philippe Thys.
Cela montre mieux que toute explication quel faible espoir je conservais de
bien figurer dans la terrible épreuve. A Orléans, j'avais recouvré l'équilibre.
Je passai mes différents adversaires ou j'arrivai à leur hauteur. Je vis qu'eux
aussi, ils avaient des marques visibles de l'effort qu'ils fournissaient. Vous
connaissez la fin de la course, les abandons successifs, la chute de Thys.
C'est ce dernier accident que je regrette le plus. J'aurais été très heureux de
pouvoir lutter avec lui à armes égales et j'aurais souhaité que la victoire fût
dévolue au meilleur de nous deux, courant dans des conditions identiques. Thys
avait deux cents mètres d'avance sur moi lorsqu'il tomba dans une descente,
après Saint-Cyr-sous-Dourdan. J'étais en état de rattraper ces deux cents
mètres, car il restait une cinquantaine de kilomètres à couvrir et un retard si
minime est vite comblé. Je le répète, j'aurais souhaité l'emporter sur Thys de
haute lutte, comme je venais de le faire sur Henri Pélissier dans la côte
précédente et non par suite du handicap dont il a souffert.
La course Bordeaux-Paris et
l'itinéraire du parcours ne sont pas choses nouvelles pour moi. J'ai
débuté dans cette épreuve en 1904, comme entraîneur de Muller, qui arriva quatrième,
mais fut déclassé ainsi que les trois premiers au profit d'Augereau qui fut
ainsi le vainqueur de l'épreuve. En 1908, j'entraînais, avec Lignon et Duboc,
le vainqueur Trousselier, qui établit avec 17 h. 40' le record de la course.
Mon premier Bordeaux-Paris comme participant réel date de 1913, l'année de
Mottiat ; je pris la sixième place. En 1914, l'année de Deman, j'abandonnai,
malade, à Orléans. En 1919, je fus encore maladeà Orléans, mais je terminai
cependant sixième. L'an dernier, je gagnai, et on me dit que j'étais l'homme du
froid, de la pluie et de la boue. Va-t-on dire, cette année, que je suis
l'homme de la chaleur et du soleil ?
Mon rêve serait que Bordeaux-Paris fut une épreuve avec entraîneurs d'un bout à l'autre, échelonnés sur le
parcours."
Le propos est conforme à ce qu'un journal sportif attend d'un champion : pas question de champagne...
FIN DE LA DIGRESSION]
Le père
Christophe évoque ses souvenirs avec une aisance déconcertante
et remarquable. Il appartient à la « légende
du cycle », mais il vit avec son temps.
Quand on lui parle de « champions » il vous répond froidement :
« De tout temps, il y a
eu des champions d'exception et il est difficile d'établir des comparaisons entre différentes époques. Dans n'importe quel sport, on trouve des
petits cerveaux. Trousselier, Faber, Lapize, Louison Bobet, plus près de nous... et même Jacques Anquetil (!) sont des êtres d'exception. Tenez, prenez Lapize, lui, c'était un homme d'affaires, alors que moi,
pardonnez-moi l'expression, j'étais un couillon. Aujourd'hui, voyez-vous, l'argent fausse les
données du problème. Les jeunes y pensent beaucoup, trop. Ils ont
moins appris à souffrir, ils
connaissent moins l'amour de l'effort, le bonheur de réussir, de triompher des difficultés. »
Eugène Christophe n'est pas
aigri par la vie. Paradoxalement, c'est sur le tard qu'il a trouvé la sérénité. Aujourd'hui, il bricole dans son atelier, il
touche sa petite rente sur la vente des pédaliers à son nom. Il n'a pas le temps de s'ennuyer. Sa
plus récente satisfaction est
d'avoir trouvé un des derniers « Christophoriste », qui plus est marchand de chocolat, dans la rue
du Fg-St-Honoré. Mais il n'aime pas
qu'on le présente et qu'on énumère ses titres de « noblesse » cyclistes.
Né le 22 janvier 1885 dans
le 1er arrondissement, Eugène Christophe a disputé 11 Tours de France, de 1906 à 1925. Il a gagné notamment 2 Bordeaux-Paris et Milan-San Remo.
Dans le Tour, en 1909, il a terminé second des isolés, en 1912, il s'est classé 2° encore, battu aux points par Odile Défraye en 1913, il a brisé sa fourche dans le Tourmalet, effectué 10 kilomètres à pied dans la nuit pour trouver une forge et
rebraiser lui-même sa fourche cassée — ce jour-là, si l'on ne pleura point dans les chaumières, le jeune Christophe entra néanmoins dans l'histoire du vélo — et, en 1919, il termina 3' au classement générai derrière Firmin Lambot et Alavoine après avoir possédé jusqu'à 33 minutes d'avance sur ses adversaires à Raismes, près de Valenciennes, là où à nouveau il brisa... sa fourche.
Mais ce Tour de France valut au père Christophe une autre satisfaction, une
seconde raison de rentrer dans l'histoire du Tour (Histoire avec un H
majuscule). En effet, Henri Desgrange, le père du Tour, décida cette année-là, aux Sables-d'Olonne, de créer un maillot jaune qui distinguerait le leader
de la Grande Boucle. Le temps de le fabriquer, les coureurs avaient atteint
Grenoble et c'est là où, le 19 juillet 1919, Eugène Christophe endossa le premier maillot jaune
symbolique de l'Histoire du Tour de France.
Ensuite, pour Eugène Christophe, alors célèbre, devait commencer une longue série de déboires. En 1922, dans l'étape Briançon-Genève du Tour de France, il était en passe de reprendre le maillot jaune dans
le Galibier quand il brisa encore une fourche. Il lui fallut retourner jusqu'à Valloire pour emprunter un vélo de... curé qui lui permit de descendre jusqu'à St-Michel-de-Maurienne. A cette époque, Henri Desgrange, pour défendre les petits constructeurs, avait interdit
les services de dépannages organisés qui auraient par trop favorisé les grosses marques.
« Après, j'ai recouru le Tour sur cycles J.-B. Louvet
et contre les cycles... Christophe. En plein désarroi familial, j'avais vendu mon nom pour
30.000 francs de l'époque et j'étais en procès avec la Maison Auto-moto. Mais on ne pouvait
quand même pas m'empêcher de courir. Cette année-là, j'ai pris le départ surtout comme capitaine de route et dans
l'espoir de faire gagner Hector Martin qui, lui, marchait fort. Je crois avoir
terminé onzième. »
Des ennuis familiaux, Eugène Christophe en eut son compte. Il perdit sa
première femme très jeune... et la seconde se mit dans la tête d'apprendre le piano.
« Des gammes, des gammes à longueur de journée. Ah ! ce professeur de piano qui se pointait régulièrement avec son petit canotier, ce que j'ai pu
la maudire ! Je fuyais quand je la voyais arriver. Et puis quand ma femme est
partie en emportant toutes ses affaires, je lui ai dit qu'elle continue à venir. Ça aurait trop bouleversé ses habitudes à cette femme. Vous savez comme c'est la vie. Je
l'ai épousée. C'était une femme admirable. Elle me fabriquait même des housses pour mon vélo. Malheureusement je l'ai perdue... »
Aujourd'hui le père Christophe reste seul avec ses souvenirs dans son petit
pavillon de Malakoff. Il est toujours content d'évoquer le bon vieux temps, de bricoler, de boire
un coup, de soigner sa « petite paralytique », de se retremper dans le milieu de ce vélo qu'il aime tant et qu'il a tant aimé.
Si on lui demande quel autre sport il aurait aimé pratiquer, il vous répond d'une manière assez surprenante : la natation.
Les raisons en sont limpides, si l'on peut dire :
« Un jour mon frère faillit se noyer dans la Seine du côté de l'Ile Saint-Louis entre deux péniches. Heureusement il put être sauvé à temps mais de ce jour j'ai décidé d'apprendre à nager.
En connaissez-vous beaucoup, vous, des sports utiles ?
Est-ce que la boxe par exemple peut rendre service à quelqu'un ? Je ne vois pas l'intérêt de se foutre des coups de poing sur la gueule.
Par contre la natation, elle, peut sauver des vies humaines. »
Oui, le père
Christophe est un homme heureux. C'est une belle santé et
un brave homme. Qui mériterait bien un vélo
d'honneur pour l'exemple qu'il a donné et qu'il continue à
donner.
Nous continuerons à feuilleter le magazine pour retrouver Jean Bobet, Roger Baumann, Pierre Roques, les néo-pros de l'année 1966 et Henri Anglade.
A suivre...
Qu'est-ce qu'on se régale ! vivement la suite !
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