En 1930, Pellos devient dessinateur sportif au journal L'Intransigeant.
En 1932, il suit son premier Tour de France pour le grand quotidien mais aussi pour Match l'Intran qui en est le supplément sportif hebdomadaire.
C'est le premier d'une longue série puisque cela va durer jusqu'au début des années 80 !
C'est le premier d'une longue série puisque cela va durer jusqu'au début des années 80 !
Cela représente des milliers de kilomètres de voiture sur les routes du Tour et également des centaines (des milliers ?) de dessins.
Le Tour de France 1932, donc... Pas question de raconter la course aujourd'hui (Je le ferai certainement plus tard.), juste l'envie de la regarder du point de vue du dessinateur.
Le parcours était un vrai Tour de la France même s'il ignorait la Bretagne.
21 étapes : la plus longue, Nantes-Bordeaux, totalisait 388 kilomètres ; la plus courte, Gap- Grenoble, faisait 102 kilomètres.
80 coureurs au départ
L'Intransigeant et Match utilisent les grands moyens pour suivre la course :
Le Tour de France 1932, donc... Pas question de raconter la course aujourd'hui (Je le ferai certainement plus tard.), juste l'envie de la regarder du point de vue du dessinateur.
Le parcours était un vrai Tour de la France même s'il ignorait la Bretagne.
21 étapes : la plus longue, Nantes-Bordeaux, totalisait 388 kilomètres ; la plus courte, Gap- Grenoble, faisait 102 kilomètres.
80 coureurs au départ
- 5 équipes nationales de 8 coureurs : France, Belgique, Italie, Allemagne et Suisse ;
- 40 coureurs répartis sous la bannière des Individuels, 20 Français et 20 étrangers.
L'Intransigeant et Match utilisent les grands moyens pour suivre la course :
- un car de transmission des bélinogrammes qui permet de transmettre rapidement les photos à la rédaction du quotidien (Le BELINOGRAPHE est "un appareil de phototélégraphie à cylindre, permettant la transmission de documents sur circuits téléphoniques et liaisons radioélectriques" Larousse ) ;
- un car de transmission d'émissions TSF ;
La
radio-diffusion du Tour de France
L’Intran Match
N° 304 du 5 juillet 1932)
L'Intransigeant et
Match ont
créé en 1929 le
reportage par T. S. F. du
Tour de France cycliste. Cette
année, pour la quatrième fois, ils vont rééditer
l'exploit qui consiste à promener
le micro au
long des 4.300 kilomètres
du Tour, permettant
de renseigner, instantanément, tous les Français qui suivent
attentivement les péripéties
de cette immense compétition sportive.
Une
telle réalisation, on s’en doute, ne va pas sans de grandes
difficultés. Spécialisés dans le radio-reportage sportif, l'Intran et Match sont considérés comme les meilleurs organisateurs en
France d'émissions par T. S. F. de ce genre.
Il a
fallu de nombreuses collaborations pour mettre sur pied pareille expédition. Il a fallu former des radio-reporters, former des
opérateurs, et, enfin, créer de toutes pièces un matériel absolument
particulier.
Parmi les collaborateurs de L'Intran et Match sur ce Tour 1932, outre Pellos donc, rendons hommage aux photographes Bouvard et Bouchon qui nous ont laissé les photographies magnifiques des Géants de la route. Saluons également la présence de Charles Pélissier qui, blessé, ne put courir ce Tour.
Le décor est planté ?... pas tout à fait. En effet, les premiers dessins de Pellos relatifs à ce Tour 1932, illustrent un article que le reporter Jean de Lascoumettes, écrivit pour le numéro 304 du 5 juillet de Match. Numéro de présentation du Tour de France 1932 :
Le trait de Pellos est vif, espiègle... Il annonce déjà les aventures des Pieds nickelés que Pellos dessina de 1948 aux années 80.
Cette
année, grande innovation. L'Intran et Match ont
équipé un radio-car de conception tout à fait nouvelle, et qui permet, dans
les meilleures conditions, de réaliser le travail difficile qu'on demande aux
radio-reporters. Ce car est divisé en trois compartiments : dans la partie
avant, six places qui permettent de transporter, à une moyenne de soixante à
l'heure (ce qui exige une vitesse de quatre-vingt-dix kilomètres en plat), les
opérateurs et les radio-reporters. La vitesse de cette voiture a été calculée
de façon à permettre aux parleurs de suivre les péripéties de la course et de
pouvoir la devancer suffisamment, afin de procéder aux liaisons nécessaires qui
permettent d'entrer en communication avec la station de T. S. F. la plus
proche. Le compartiment central est un véritable laboratoire qui permet
d'utiliser des amplificateurs microphoniques suffisamment puissants, alimentés
par des batteries d'accumulateurs qui ont trouvé place à l'intérieur de la
carrosserie.
La
force fournie par une génératrice, soigneusement filtrée,
permet une tension plaque de 400 volts aux amplificateurs. L'un de ces
amplificateurs permet d'alimenter une double table d'enregistrement sur
disques. En outre, il y a des redresseurs pour charger les accus, et, enfin, un
poste-récepteur qui permet à l'opérateur de suivre l'émission diffusée par
l'une des stations avec lesquelles il est entré en liaison. La partie arrière
du car est aménagée en studio de T. S. F. Les parois sont revêtues de tissu
insonore, et un jeu de rideaux permet, selon les nécessités, d'isoler le
parleur de la foule qui se presse autour de la voiture. Un micro porté par un
bras mobile peut se déplacer à l'intérieur de ce studio, très facilement.
Enfin, une table reproductrice de disques à deux plateaux permet, soit de
donner des concerts de musique enregistrée, soit d'accompagner la parole d'un
commentaire musical, soit, enfin, de reproduire les disques qui ont été
enregistrés dans le laboratoire. Dans ce studio prend place aussi un
haut-parleur de puissance que l'on monte en quelques secondes sur le toit, et
qui permet, selon les cas, de tenir les spectateurs présents à l'émission au
courant de ce qui se passe à l'intérieur du car. Enfin, une échelle permet
d'accéder par un toit mobile à une passerelle aménagée au sommet de la voiture.
Cette passerelle, qui mesure deux mètres sur deux, munie de rambardes, est en quelque
sorte un observatoire roulant, qui permet aux reporters, dans le minimum de
temps, de trouver un emplacement favorable d’où ils peuvent voir et décrire,
malgré la foule, n'importe quel événement. Cette passerelle sera utilisée pour
la diffusion des arrivées d'étape.
La
grande innovation de ce car est incontestablement l'enregistrement sur
disques. L'idée de l'utilisation de
l'enregistrement sur disques pour le reportage sportif remonte à 1929. C'est,
en effet, au lendemain de l'ascension du col d'Aubisque pendant le Tour de
France, que les radio-reporters de L’lntran-Match
constatèrent l'impuissance dans laquelle ils se trouvaient de relater
sur-le-champ les péripéties de la plus importante étape du Tour de France. Ils
devaient, par suite des exigences techniques, se contenter de prendre des notes
au sommet du col, gagner le plus rapidement possible la vallée la plus proche,
et, après être entrés en liaison téléphonique avec une station de T. S. F,
faisaient le récit de ce qu'ils avaient vu.
Un récit, c'est bien, mais la prise même de l'événement sur le
vif, voilà qui est mieux encore, et c'est pourquoi, depuis 1929, les
radio-reporters de l'Intran-Match étudiaient
la possibilité d'utiliser l'enregistrement sur disques, qui permettra, cette
année, d'effectuer au sommet de l'Aubisque et des principaux cols, un reportage
complet et instantané qui, enregistré, sera transmis lors de l'arrivée du car
dans la vallée la plus proche du col. Ainsi vous seront restitués, avec un
écart de temps minime, non seulement les réactions spontanées du speaker, mais
aussi le décor sonore de l'ascension des coureurs du Tour de France, les
applaudissements de la foule, les klaxons des voitures, parfois même les jurons
des concurrents malheureux, en un mot tout ce qui fait la vie même, palpitante et
impressionnante, de cette étape-reine du Tour de France.
A ce
car sera jointe cette année une voiture torpédo du modèle de
celles utilisées au cours des deux années précédentes pour le radio-reportage du Tour de France.
Puisque
voici les conditions techniques précisées, examinons un
peu l'organisation générale d'un tel reportage. Il sera assumé cette année, du
6 au 31 juillet, par douze stations françaises, qui constituent le réseau
d'Etat. Mobiliser tant de stations en même temps, cela n'a été rendu possible
que grâce à l’accord intervenu entre l’Intran-Match
et la Fédération Nationale de Radiodiffusion. Remercions tout de suite
les services de la
Radiodiffusion des P. T. T., et aussi la direction des Téléphones qui ont mis tout en œuvre pour que le reportage
du Tour 1932 soit plus parfait encore que celui des années précédentes.
Les douze
stations qui diffuseront
toutes les émissions — elles sont au nombre de
53 - du radio-reportage du
Tour de France
de l’Intran-Match sont
les suivantes :
Paris
P. T. T. — Rennes P. T. T. — Limoges P. T.
T. — Bordeaux'Lafayette - - Toulouse-Pyrénées - - Montpellier —
Marseille-Provence Alpes-Grenoble Lyon-la-Doua —
Radio-Strasbourg — Lille P. T. T. Nord et la Tour Eiffel.
A
bord des deux voitures, neuf collaborateurs prendront place : quatre
radio-reporters : Jean Antoine, créateur de ce reportage
et sous la direction duquel il est effectué pour la quatrième fois cette année,
René Bierre, C.-A. Gonnet et Maurice Dessarps. Voilà qui promet aux auditeurs d'être renseignés vite et exactement. Trois opérateurs feront
le Tour, assurant les liaisons techniques. Ce sont MM. Guilleminot et
Gallienne, du service de la Radiodiffusion des P. T. T., et M. Luc Henri de l'Intran-Match.
Le
changement d'horaire du Tour de France, cette année, nous a obligé à modifier assez profondément les heures
d'émissions auxquelles nous étions demeurés fidèles depuis trois ans. Il nous a
semblé qu'entre onze et treize heures de l'après-midi, moment de la journée où
les auditeurs sont particulièrement nombreux à l'écoute, nous pourrions, au
cours de la majorité des étapes, diffuser l'arrivée. C'est pourquoi nous avons,
chaque jour, prévu une émission à ce moment. Elle sera plus longue que celle
des années précédentes.
Dans
le cas où l'arrivée se produirait au delà de
treize heures, une émission spéciale sera effectuée au cours de l'après-midi,
au moment même où les concurrents passeront la ligne d'arrivée. Vous pouvez
d'ailleurs, à ce sujet, consulter utilement tous les programmes de T. S. F.
dans lesquels ces émissions seront mentionnées. Elles permettront non seulement
de donner le compte rendu complet, mais encore d'établir hâtivement un classement
précis et fidèle. Bien entendu, chaque soir une émission de commentaires sera
effectuée à 20 h. 15 par nos radio-reporters. Au cours de ces émissions, comme
les années précédentes, tous les champions du Tour viendront prendre la parole
devant le micro. En outre, nous avons prévu cette année une série d'attractions
sonores, qui permettront aux auditeurs de se familiariser avec les régions si
diverses traversées par l'énorme caravane
cycliste. Enfin, Fredo Gardoni et son orchestre, qui connurent l'an dernier
tant de succès à la radio, pendant le Tour de
France, ont bien voulu nous promettre de se faire entendre souvent le soir au
micro de l’Intran-Match et
interpréter pour les auditeurs de T. S. F. leurs plus récents succès. Enfin,
comme les années précédentes, l'Intran-Match
organise un petit concours à l'intention des auditeurs de T. S. F. Tous
ceux qui trouveront la solution exacte recevront un souvenir se rapportant au
Tour de France. Ce concours est fort simple et nous en fournirons les données
au cours de nos émissions, qui commenceront le 5 juillet à 20 h. 15, par la
présentation des concurrents du Tour de France. Ce concours est fixé au 20
juillet, au cours de l'émission qui sera effectuée à 20 h. 15 à Nice, après la
dernière journée de repos des concurrents.
Les
auditeurs suisses seront, cette année, particulièrement
favorisés. En effet, l'excellent poste de Radio-Suisse-Romande a bien voulu
s'entendre avec l'Intran-Match pour
que les émissions des étapes Nice-Grenoble, Grenoble-Aix-les-Bains, Aix-Evian
et Evian-Belfort soient retransmises par le grand poste national romand.
Telles
sont les grandes lignes de cette organisation qui nécessite trois mois de travail attentif. Réaliser
cinquante-trois bonnes émissions, renseigner attentivement l'auditeur à
l'heure même où les obstacles naturels sont semés sur la route sans ménagement,
voilà qui démontre le succès de la radio et sa collaboration indispensable
dans l'avenir avec le sport.
Jean Antoine.
On peut noter que l'hebdomadaire concurrent "Le Miroir des sports", diffusait sur le Poste parisien ses propres reportages radiophoniques. Georges Briquet, grande voix de la radio, y débuta en cette année 1932.
Le Miroir des Sports eut comme slogan : "Le plus fort tirage des hebdomadaires sportifs" (Combien d'exemplaires ?) auquel répondait l'astucieux " Le plus grand hebdomadaire sportif" de Match : Astucieux en effet, quand la taille du Miroir était à peine supérieure à un format A4, Match se déclinait en exemplaires de 44 cm sur 31. Un concurrent de taille donc pour le Miroir ! Et un dilemme pour le blogueur qui veut scanner les unes qui débordent de son scanner A3...
On peut noter que l'hebdomadaire concurrent "Le Miroir des sports", diffusait sur le Poste parisien ses propres reportages radiophoniques. Georges Briquet, grande voix de la radio, y débuta en cette année 1932.
Le Miroir des Sports eut comme slogan : "Le plus fort tirage des hebdomadaires sportifs" (Combien d'exemplaires ?) auquel répondait l'astucieux " Le plus grand hebdomadaire sportif" de Match : Astucieux en effet, quand la taille du Miroir était à peine supérieure à un format A4, Match se déclinait en exemplaires de 44 cm sur 31. Un concurrent de taille donc pour le Miroir ! Et un dilemme pour le blogueur qui veut scanner les unes qui débordent de son scanner A3...
- Les quatre torpédos (dont trois Citroën C6 )qui permettent aux reporters, aux photographes et au dessinateur de suivre la course.
Parmi les collaborateurs de L'Intran et Match sur ce Tour 1932, outre Pellos donc, rendons hommage aux photographes Bouvard et Bouchon qui nous ont laissé les photographies magnifiques des Géants de la route. Saluons également la présence de Charles Pélissier qui, blessé, ne put courir ce Tour.
Le décor est planté ?... pas tout à fait. En effet, les premiers dessins de Pellos relatifs à ce Tour 1932, illustrent un article que le reporter Jean de Lascoumettes, écrivit pour le numéro 304 du 5 juillet de Match. Numéro de présentation du Tour de France 1932 :
VOUS ne supposez pas,
je pense, que le Tour de France c'est simplement quatre-vingts coureurs s'en
allant de Paris pour un mois, et que leur seul passage détermine
tout l'enthousiasme qui éclate au long des routes ! Certes, ils jouent le
principal rôle : ils devraient même les tenir tous. Mais, sans vouloir en rien
rabaisser leurs mérites, célébrons, pendant qu'il en est temps encore, les suiveurs,
ces modestes satellites qui, des jours et des nuits durant, vont écrire et
parler du Tour.
Mettons à l'honneur
cette caravane, chaque année grossie, et dont le pittoresque toujours est
renouvelé.
Ce défilé
de voitures en délire, bruyantes (parfois hargneuses), trépidantes et emmêlées,
avec leurs couleurs vives, leurs pavillons claquant au vent, leurs occupants
vêtus d'invraisemblable façon ; ce défilé long de plusieurs centaines de mètres
— que dis-je ! on pourra bientôt l’évaluer par kilomètres ! — ne saurait passer
inaperçu. Il est aussi un spectacle qui a le mérite de la durée tout au moins.
Ce qui s’écoule le plus lentement dans une armée, c'est son convoi. Or, jamais
troupe ne fut aussi nombreusement escortée.
Et, dans les villes d'étape
où nous arrivons pour passer une nuit, qu'est-ce qui apporte l'animation inaccoutumée,
sinon cette horde pacifique des suiveurs ? Les coureurs sont dans leurs chambres.
Ils ont abandonné leurs membres aux masseurs ; ils se reposent, ils dorment. Et
vont, tout à l'heure, dîner en pyjama dans le calme jardin de l'hôtel où il
fait frais. Avant que les premières
étoiles ne s'allument au ciel, ils seront dans leurs lits.
Ils
ont été comme escamotés dès leur arrivée. On ne les verra plus.
Alors, il faut bien
que la curiosité des indigènes s'accroche à quelque chose et à quelqu'un.
Les suiveurs en bénéficieront. Ce sont eux que les gosses suivront dans la rue,
espérant sans doute apprendre des nouvelles extraordinaires, au hasard d'une conversation surprise... et
qui ne roule
pas toujours sur la course.
Pour faire un bon
suiveur, il faut posséder deux qualités primordiales, au physique et au moral :
il faut avoir un excellent estomac et une dose énorme d'optimisme.
Il faut pouvoir, le
matin, au réveil, avaler sans grimace un café bouillant, parce que le
garçon a toujours frappé à votre porte avec quelque retard ; il faut, durant
l'étape, manger n'importe où et n'importe comment, avec la poussière pour
condiment. Il faut boire de l'eau glacée qui suinte d'un petit névé au flanc du
Tourmalet et, pour ne pas contrarier des amis inconnus, avaler, au petit matin,
le « pique-pont » offert sur une route méridionale. Et, comme le menu des
suiveurs n'est pas commandé à l'avance par un manager avisé, il faut savoir
s'accoutumer aux menus les plus divers et les plus opposés, du nord au sud, de
l'ouest à l'est. Résister à tout cela, ne pas ensuite succomber au sommeil qui
suit les digestions laborieuses, dans la tiédeur d'une conduite intérieure ou
sous le soleil incendiant les nuques des voyageurs en torpédo, voilà qui est
indice de bonne santé et voilà ce qu'il convient de posséder.
Le reste n'est rien.
La pluie lave les voitures et les visages. Elle n'est gênante
que parce qu'elle transforme le bloc en papier buvard et dilue l'encre coulée
du stylo. On supporte le froid de certaines matinées en montagne, sachant
qu'avec la chaleur prochaine cela fera, en définitive, une honnête moyenne. Et
les moustiques même ne sont point considérés comme tortionnaires tant que leurs
piqûres sur la paupière ne vous privent pas de la vision.
Mais l'optimisme !
Quelle provision il a fallu en faire pour ne point le dilapider au long de
quatre semaines, de cet optimisme générateur de bonne
humeur ! Tout doit s'arranger quand tout va pour le pis. Il faut ne point se
fâcher quand la demoiselle du téléphone juge bon de poursuivre une conversation
tendre au détriment de votre communication ; quand la dame du télégraphe veut
recompter plusieurs fois les mots de votre télégramme. Ah ! les attentes dans
les bureaux et les impatiences qu'on doit refréner, et les énervements qu'on
doit contenir ! Il faut pouvoir, sans en paraître gêné, faire son papier,
pressé, écrasé par des indiscrets qui lisent par-dessus vos épaules ou vous
soufflent au nez leurs haleines combinées. Il faut s'estimer heureux quand on
n'a égaré que la moitié de votre bagage, qu'il ne soit pas perdu tout entier.
Et, tout au long de La route, il vous faut écouter galamment les compliments
peu académiques des chauffeurs que vous avez peut-être gênés sur la route ou
que vous avez empêchés de vous gêner. Il faut se composer une âme et un visage
souriants. Nulle rebuffade ne doit vous atteindre. La bouche en cœur, vous
tentez de prendre au vol l'interview d'un coureur. Le moment est sans doute mal
choisi ; en fait d'interview, on capte souvent un simple mot, pas toujours
aimable. Baste ! On recommence un peu plus loin.
Cependant que des gens
au passage, après avoir crié « Ah ! les braves gens ! », en voyant défiler
les coureurs, vous traitent de vagues « cousines » du bœuf Apis, parce que vous
ne pédalez point. Sourire.
Sourire à
tout le monde et partout, du matin au soir, du papier de l'aube au papier du
crépuscule, et s'endormir ensuite en souriant aux anges encore, pour quelques
heures. Voilà la vie. Et Candide lui-même y prendrait peut-être une leçon de
philosophie.
Mais, journalistes,
nous ne sommes pas toute la caravane. Pensons aux photographes qui s'égosillent
sur la route, sont aphones à l'arrivée, ont les membres courbaturés, des suros
sur les tibias et des
bleus sur le front, parce que des démarrages brusques les
ont précipités au évoquant ces voyageurs étranges, des gros, du fond de leur
voiture au moment précis où ils allaient prendre le cliché unique. Ils parlementeront
avec des gens plus ou moins disposés pour aller prendre place à quelque fenêtre
du deuxième étage ou sur un toit. Ils grimperont à des poteaux télégraphiques
et s'abîmeront les mains. Ils se rouleront dans la poussière pour saisir le
coureur « d'en dessous ». Ils tremperont leurs pieds dans l'eau des fossés.
Ils auront à lutter avec les admirateurs qui encadrent le vainqueur, le
dissimulent, l'escamotent. Et ils fondront comme beurre au soleil, sur une
table de bistro, enveloppés d'une hermétique cagoule noire, dans le mystère de
laquelle ils perpètrent des opérations dont les curieux restent pantois. Puis,
dès qu'ils ont mis pied à terre, quand la course est terminée, on peut les
voir, leur boîte à la main, étranges chasseurs, errer par les rues,
s'engouffrer dans les hôtels, monter doucement dans les chambres, encore à la
recherche d'une image. Sourires.
Et ceux qui, toute la
journée, dans des conditions pénibles, mènent par les routes
encombrées des voitures qui doivent passer et qui passeront, tous les
chauffeurs de cette longue caravane. Et les soigneurs, les masseurs, les mécaniciens,
qui dorment le jour dans le camion qui les emporte, car, chaque soir, le camp
s'établit où, durant que tout dort, ils répareront, prépareront les précieuses
machines... Sourires, sourires...
Ainsi, bigarrée,
colorée, la caravane s'en va, dans un étrange amalgame, roulant tout ce qui est
nécessaire à sa vie, ville ambulante, avec ses cinémas, ses joueurs
d'accordéon, ses distributeurs d'échantillons, de la banane au chocolat, du
pinard à la coiffure, ses voitures de publicité qui affectent la forme d'une
bouteille ou d'un fromage, cité errante et longue de plusieurs kilomètres qui
paraît ne pouvoir se fixer nulle part, comme l'homme aux cinq sous.
Mais,
pour disparate qu'elle paraisse, une unité se crée en elle. Et cela dès que la
route est prise, dès qu'en se retournant l'on ne peut plus apercevoir la Tour
Eiffel. Dès cet instant, la fraternité — que d'aucuns considèrent comme une
utopie — règne. Les anciens se connaissent, certes, et pas mal depuis de
nombreuses années ; mais les nouveaux venus, dont on ignore encore le nom,
dont on ne saura peut-être jamais le nom, ont déjà pris place dans la famille.
Après vingt-quatre heures, c'est le tutoiement. Après deux étapes, c'est à la
vie et à la mort.
Inutile d'ailleurs
d'essayer de placer dans sa mémoire toutes ces physionomies
nouvelles. II y aura toujours,
pour se reconnaître, cet air du Tour, un je ne sais quoi de très
particulier, mais de caractéristique.
Or, si cette fusion
s'est aussi rapidement opérée, si l'esprit Tour de France est si spontanément né,
c'est que tous ces gens-là, des plus blasés aux moins avertis, éprouvent une
émotion pareille, sont agités des mêmes sentiments. Il suffit qu'un jour une
jolie chose sportive vous ait étonné jusqu'à faire se brouiller quelque peu
votre regard, pour que vous soyez « pris dans le bain », pour que vous vibriez
à l'unisson, pour qu'aussi — et c'est si humain ! — vous vous substituiez en
quelque sorte à ceux que la foule applaudit.
Vous verrez souvent, à
une arrivée, le suiveur beaucoup plus ému que le triomphateur. Telle arrivée à
Gap, par exemple,..
Ah ! nous sommes loin
du Tour de France qu'escortaient trois ou quatre voitures, dont les occupants,
quelque peu dépaysés à l'étape, ne se quittaient pas d'une semelle,
mangeant à la même table, logeant côte à côte ! Et l'on a peine à imaginer
qu'il pourrait redevenir cela, du jour au lendemain, sans que son intérêt diminuât.
L'importance de la caravane le suit et le souligne tout simplement.
De ville en ville,
nous allons un peu à la manière d'un cirque. Le cirque peut être tapageur ;
les artistes aussi en peuvent être excellents. Nous faisons du bruit. Nous illustrons pour les
yeux des gosses une histoire merveilleuse dont ils se souviendront mieux. En
gras, des maigres, des pâles, des rubiconds, vêtus de combinaisons claires ou
porteurs de chemises étranges, coiffés, au hasard des découvertes, de chapeaux
inimaginables, de bérets, de casques, de casquettes, ils fixeront dans leur
mémoire la belle preuve de courage d'un Leducq, la fuite d'un Sieronski, la
ténacité d'un Demuysère. On illustre bien les manuels d'histoire !
Ainsi, de bonne
humeur, gais et contents, les suiveurs sont partis pour l'annuelle revue.
Les mêmes
soucis, les mêmes joies, les mêmes curiosités vont nous promener de Caen où
l'on ne mange pas de tripes à la mode, à Nantes qui nous voyait passer trop
rapidement à son gré. On commencera de prendre l'accent du sud dans les coteaux
de Gironde. Nous reverrons Pau sous la menace de la montagne, et Luchon après
avoir chevauché des pics quand la route s'en va si douce et si tranquille par
la vallée ; Perpignan, ses platanes, et les yeux de braise de ses Catalanes, et
Montpellier dans les vignes. Le temps de humer l'air du vieux port de
Marseille, et voici Cannes ensoleillée, Nice qui nargue la montagne prochaine
; nous suivrons Napoléon dans Gap. El c'est la remontée avec des escales aux
bords des lacs placides, la verte et blonde Lorraine, les routes du Nord sur
lesquelles se forgèrent tant de vocations cyclistes pour revenir à Paris,
basanés, boucanés, fourbus et heureux si nous avons su faire partager à ceux
qui nous ont lu nos belles émotions.
Puis tout finira au
Parc des Princes. La communauté se dissoudra aussi vite quelle
s'était formée. Une poignée de mains et encore... On aura cette impression
qu'on est démobilisé et qu'on ne sait plus très bien ce que maintenant on va
entreprendre.
Jean de Lascoumettes.
J'adore cet enthousiasme... On s'y croirait!!!
RépondreSupprimerA bientôt!
très intéressant ! et merci de partager ces sources.
RépondreSupprimerBonjour. Je ne sais pas si Olga t'a donné le lien vers ce blog :
RépondreSupprimerhttp://lesmolletsmoteurs.overblog.com/
Il s'agit de la fille d'amis de Cerneux et de son fiancé: il viennent de se poser en équateur avec leur vélo et espèrent descendre le plus au sud possible en longeant la Cordillère des Andes, en traversant le Pérou et le Chili, bien entendu... Bon voyage.