Lundi midi, je rangeais mes "Miroir du cyclisme" des années 1980 dans les belles reliures d'époque que je venais de recevoir quand le numéro 319 de juin 1982 a attiré mon attention...
Bien sûr, Bernard HINAULT est à la une de ce numéro de présentation du Tour de France 1982 mais ce qui attira mon attention, c'est le nom de Cavanna.
Ainsi François Cavanna écrivit-il un article sur le Tour de France et je ne m'en souvenais pas ! Pourtant, en 1982, je dévorais "Miroir du cyclisme". Pensez donc, j'étais "chomiste" en juin 1982, à la recherche d'un premier emploi après une année 1981 passée à la caserne de Châteauroux pour ce que l'on appelait alors le Service militaire.
Et donc, à l'époque, en plus du "Ouest France" quotidien et familial, je dévorais le "Miroir du Cyclisme", le "Canard enchainé" (déjà) et, je crois, "Les nouvelles littéraires". Si je ne lisais plus Charlie Hebdo, c'est que le titre avait disparu des kiosques à la fin de 1981.
La plus grande partie de cette année 1982, je la passai donc à lire, à faire du vélo sur les belles routes du Morbihan et accessoirement, à chercher un emploi. Emploi qui d'ailleurs m'amena en région parisienne au mois de septembre 1982.
Pensez donc si j'avais dû dévorer ce texte de Cavanna. Mais le souvenir s'en était effacé. Sinon la semaine dernière, je l'aurais fastochement retrouvé.
A la page 18, se trouve donc l'article écrit par Cavanna.
Le titre de cet article es trompeur car de Robic, il n'est pas question (hormis une citation dans une liste de Géants de la route). C'est peut-être un hommage à Robic, mort à la fin de l'année 1980.
Mais laissons le conteur... conter...
"Vous ne me croirez peut-être pas, mais le premier
livre que j'ai écrit et qui a été édité s'appelait « Le Tour de France ».
Parfaitement. C'était, eh oui, une histoire du Tour de France. Cela se passait
il y a, voyons... Eh bien, il y a vingt ans de ça. A peu de chose près. «
Hara-Kiri » venait d'être interdit pour la première fois, ce n'était pas la
dernière mais n'anticipons pas, il y avait les gosses à nourrir, et aussi leur
père, soyons franc, un gars cherchait quelqu'un pour écrire ce livre-là, une
collection qui s'appelait « Loisirs-Jeunesse » ou quelque chose comme ça, chez
Hachette, peut-être bien, j'avais complètement oublié ce bouquin, si vous le
trouvez dans le grenier de votre grand'mère montrez-le moi, je serai ému aux
larmes et je vous y ferai une belle dédicace à l'encre, de la couleur que vous
préférez. C'était payé au forfait, pas cher, mais comptant. Ça m'avait bien
dépanné, sur le moment.
Bon. C'était de l'anecdote personnelle, me direz-vous, mais justement,
ce que je vends, c'est de l'anecdote personnelle. Ça tombe bien. On cause Tour
de France, paf, le Tour de France a joué un rôle dans ma vie. Non,
n'allez pas croire que si l'on avait causé Coupe Davis ou Tournoi des Cinq
Nations je vous tirais aussi sec l'anecdote correspondante de ma manche. Tour
de France et c'est tout. Vous dire que vous avez de la veine. Le vrai professionnel de la chose, je suis
l'historiographe chevronné. Dommage que mon unique exemplaire se soit
égaré bêtement dans un déménagement, comme ces chiens qui se perdent quand on
part en vacances, vraiment dommage. Je vous en aurais recopié quelques pages,
c'était très beau, j'en suis sûr, je ne me rappelle pas une ligne mais je me
connais : consciencieux et perfectionniste, vous pouvez toujours chercher celui
qui me fera la pige question érudition, lyrisme et émouvance.
Remontons encore plus loin
dans le temps. Que voyons-nous ? Nous voyons moi, morveux
de dix ans, entouré d'autres morveux, vraiment morveux, je veux dire : avec de
grosses morves vertes qui leur pendent aux nez. Autour de nous autres morveux,
la rue Sainte-Anne ou n'importe quelle autre rue à Ritals de la banlieue Est ou
Sud-Est, c'est dans ces coins que poussaient ces champignons-là, au fond de
ces rues verdâtres — avec des nouilles toutes rouges dans le caniveau et du
linge tout blanc aux fenêtres. C'est l'été, il fait chaud à crever tout autour,
sauf dans notre rue à Ritals que plus il fait chaud plus elle est fraîche. Même, elle sent la cave,
notre rue, l'été, alors. Même la vase, elle sent, va savoir d'où ça vient. Sauf
le dimanche. Le dimanche, elle sent le parmesan.
Oui, mais là, c'est pas dimanche. C'est un jour ordinaire. Enfin, pas tout à
fait, quand même : c'est les vacances. La différence entre les vacances et pas
les vacances, c'est qu'on ne va pas à l'école. Les vacances, pour vous autres,
chers petits enfants d'aujourd'hui, ça veut dire Tahiti, ou les Bahamas, ou la
Grèce, ou au moins le Tréport. Enfin, bref, la mer et tout ce qu'on met autour
: pédalo, ski nautique, volley, excursions, méchoui, et votre papa qui vous
paie plein de glaces à plein de parfums sans quoi vous allez raconter à maman
ce qu'il fait pendant la sieste avec la voisine de la caravane d'à côté. Pour
nous autres, enfants de juste après l'âge de pierre, les vacances c'était
seulement ne plus aller à l'école. Et c'était formidable. Ce qu'on pouvait se
marrer, dans nos trous à rats, vous n'avez pas idée. Mais bon, c'est du Tour de
France que nous sommes partis pour causer, élaguons, élaguons. Centrons le
collimateur sur le Tour de France. Voilà. Comme ça. Merci !
Le Tour de France, c'était notre Iliade, notre
Odyssée, notre Chanson de Roland et notre guerre des Malouines. Cherchez dans
le dictionnaire les mots que vous ne comprenez pas. Je veux dire que nous en
étions dingues, archi-dingues. Nous volions des sous à nos parents, crime inouï et fort difficile à mener à bien, ou,
si pas possible, nous volions directement les journaux chez le marchand, pour
comparer les louanges fabuleuses des journalistes sportifs et calculer les
chances des champions d'après leurs écarts, les bonifications, des tas de
paramètres très compliqués que le plus borné en calcul maniait avec une
dextérité de surdoué.
Les géants s'appelaient alors Antonin Magne, Bartali,
Charles Pélissier, Vietto, Robic, Sylvère Maës... Oui, d'accord, ça fait
terriblement vieux con. Vous verrez, dans dix ans, vous aurez bonne mine avec
vos surhommes d'aujourd'hui. Vous n'oserez même pas l'ouvrir, peur de faire
rigoler les jeunots. Ah, on est bien peu de chose...
Ça discutait passionné. Ça
chauffait dur. Chacun avait le sien. Si vous n'avez jamais vu des Ritals causer
vélo, vous avez tout loupé sur cette terre. Quand ce n'était pas un coureur
rital qui enlevait l'étape, c'était parce que ces saletés de jaloux de
Français lui avaient fait des crasses, que sans ça, les Français, jamais ils
gagneraient, les Français, jamais. J'étais le seul pas tout-à-fait rital, papa
ayant épousé une Française. J'avais toute la rue contre moi.
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Portrait d'Antonin Magne, vainqueur des Tours de France 1931 & 1934 Photo parue dans Match l'Intran N° 416 de 1934 |
Justement,
j'aimais bien Antonin Magne, va savoir pourquoi. Peut-être tout simplement
parce que les journalistes déliraient sur lui plus encore que sur les autres :
c'est lui qui était désigné pour gagner le Tour cette année-là. Moi, petit
enfant tout neuf, petite cervelle toute tendre, je marchais à fond à
l'épopée. Et toi qui me lis, tu ne marches pas, peut-être ? J'avais l'excuse
d'avoir dix ans, moi. Et toi ?... J'étais tout seul à défendre l'honneur
de la France, moi le bâtard, contre tous ces macaronis déchaînés, écumants,
gesticulants. J'avais, n'empêche, une certaine autorité : j'étais le seul à posséder un
vélo. Un petit vélo au cadre cassé en deux que papa avait trouvé dans une
poubelle et qu'il avait fait bricoler par un copain à lui, forgeron. Le
forgeron l'avait boulonné en sandwich entre deux plaques de tôle, les mômes se
foutaient de moi, n'empêche, j'avais un vélo, moi, je savais de quoi il
s'agissait. Les mômes ritals se pâmaient sur les coureurs ritals et méprisaient tout le reste.
Pas de problème. Je défendais les Français sans mépriser les Ritals qui étaient
tout autant mon peuple, ce qui est inconfortable. J'ai eu trop tôt la
conscience de la vanité, des patriotismes, pauvre chère âme trop vite mûrie...
On n'adore bien que si l'on déteste l'autre. Heureusement, il y avait les
Belges. En ce temps-là, les gars étaient groupés par équipes nationales.
Vachement stimulant, tout ce qu'on voudra. Le sport sans chauvinisme, c'est
comme des nouilles sans sel. Autant se flinguer tout de suite. Les Ritals pur
jus et moi, on tombait d'accord sur le dos des Belges. Le seul mot de « Belge »
nous faisait pisser dans le pantalon. Mais comment
osait-on être Belge ? Et, l'étant, comment osait-on se montrer
? Pis que tout : comment osait-on s'asseoir sur un vélo ? Cette rigolade ! Et
ces Manneken-piss se permettaient de gagner des étapes, et même le Tour, des
fois, ça s'était vu ! Ce qui prouve bien que les Français, c'est tout bidon,
truqueurs et compagnie. C'est pas en Italie qu'on verrait ça ! J'emportais les journaux à la maison après les avoir
lus à haute voix aux autres en mettant bien l'accent épique là où il fallait.
Je me gavais d'héroïsme et d'horribles souffrances, tout seul, je
m'hallucinais à la prose survoltée, je m'identifiais plutôt au malchanceux
méritant qu'au vainqueur triomphant, car j'avais un bon petit cœur. Les
acharnés, perpétuelles victimes d'un sort injuste, les tenaces, les maudits,
voilà mes héros, à moi. Je ne voyais bien sûr pas qu'ils étaient fabriqués tout
autant que les autres par des journalistes suffisamment psychologues pour
savoir qu'il en faut pour tous les goûts... Il y a toujours un Poulidor, et un
seul à la fois, à l'intention des âmes sensibles...
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Abdelkader ZAAF, victime d'une insolation dans le Tour de France 1950 alors qu'il était échappé en compagnie de son équipier Molina. Photo MIROIR SPRINT |
Il y avait aussi les comiques. Je me rappelle un certain Zaaf
(reprenez-moi si je me trompe), un Nord-Africain (je voudrais que vous eussiez
entendu mes potes se marrer), lanterne rouge comme il se doit, dans ce temps-là ils
savaient rester à leur place, qui s'était saoulé la gueule au gros rouge et
avait foncé à toutes pédales dans la direction opposée... Ça m'a passé. On ne
peut pas croire au Père Noël toute sa vie. Ni regarder passer les coureurs. Un
jour, je me suis payé un vélo de course. Un très beau, tubes Reynolds, tout. Je
lui ai fait, ô sacrilège, remonter les entretoises pour écarter un peu les fourches
arrière afin qu'y puisse passer une roue de 650 à pneu demi-ballon. J'ai
fabriqué et fait souder des porte-bagages ultra-étudiés de mon invention. J'ai
cousu des sacoches immenses, équilibrées quart de poil, j'ai tassé là-dedans
mon fourniment de randonneur solitaire, ma guitoune, ma popote, ma bouffe, mon
linge, mon duvet, et je suis parti dévorer de la route et respirer le paysage.
J'ai fait ça pendant des années. Je me suis farci des cols et des calvaires que
personne n'a jamais sus. Pourquoi j'ai arrêté ? Mon vélo est là, tout prêt. Il
m'attend. Pourquoi trafiquer un vélo de course, alors qu'il existe des
spéciaux cyclo-touriste ? Pose ton cul une seule fois sur un vélo de course, un
vrai, à tes mesures, tu comprendras pourquoi. Pourquoi tous les vélos ne
sont-ils pas proportionnés comme les vélos de course ? Ah, dame, là... Moralité
? Ah, oui, il en faut une... Eh bien, elle sera comme ça : j'aime mieux pédaler
que regarder des gars qui pédalent pour moi. Ah, oui ? Et si tout le monde en
faisait autant, mon petit ami, ce journal où vous écrivez ceci n'existerait pas
! Tiens, c'est vrai. J'avais pas pensé à ça.
CAVANNA
Voici donc encore un beau (et rare ?) texte de Cavanna. J'aimerais bien faire une randonnée sur le vélo de Cavanna...
Ce texte évoquera bien des choses à plusieurs générations de petits vacanciers du mois de juillet qui restaient à la maison mais qui voyageaient quand même grâce à la radio, les journaux puis la télé, et surtout à la magie du Tour de France.
En feuilletant ce Miroir de 1982, j'ai repensé à un autre texte de Cavanna (je crois me souvenir que c'était une chronique dans Charlie Hebdo ?). Je ne me souviens plus du thème général mais, à moins que ma mémoire défaille, il y parlait des coureurs cyclistes qui étaient devenus des supports publicitaires ambulants. Il y rêvait de coureurs qui porteraient un maillot où serait inscrit :
"INTERDIT D'AFFICHER -
LOI DU 29 JUILLET 1881"
N'y aurait-il pas un dessinateur (Michel Heffe, qu'en penses-tu ? ) pour imaginer un tel maillot ?
Pourtant, je ne résiste pas à reproduire ci-dessous quelques publicités publiées dans ce Miroir N° 319... Encore l'occasion de se souvenir de quelques marques que l'on ne croisent plus que dans les rallyes "vintage" (quel vilain mot...).
Des réclames pour des vélos tout d'abord : le vélo Peugeot du centenaire qui trône en quatrième de couverture, on pourrait en offrir un à Robert Marchand, non ?
A l'époque, j'écumais moi aussi les courses de "troisième catégorie" sur un vélo Peugeot (un PX10L, je m'en souviens ! de couleur marron acheté un peu plus de 1000 F au magasin Peugeot de Lorient. En 1982, j'avais racheté un vélo Bianchi (il est encore à la cave, en mauvais état) à un coureur de "première catégorie"... et en juin, je commençais à "marcher" pas mal.
A la page 4 du magazine, Motobécane propose une machine un peu plus "haut de gamme"... Le vélo de ma communion était de cette marque.
Les fabricants d'accessoires ne sont pas en reste.
Déraiileur Huret en titane, SVP... avec des développements qui pouvaient s'étager du 53X12 (pour les grosses cuisses...) au 36X28 (Tout à fait correct pour les grimpeurs...)
Simplex répond à son concurrent en avant-dernière page du magazine.
Je crois que ces 4 marques ont disparu, au moins en ce qui concerne le matériel de course.
Il y a même cette pub étonnante :
Trouve-t-on encore de tels objets ? Sur les brocantes ? Les sites d'enchères sur internet ? Que sont devenus les inventeurs ?
Le magasin "La roue d'or", près de la gare de l'est à Paris, ça n'existe plus, je pense. L'hiver 1982-1983, je m'y rendais souvent pour acheter, avec mes premiers salaires, du matériel (dont un groupe complet "SUPER RECORD - CAMPAGNOLO" !) pour équiper le cadre rouge rouge que me fabriqua un artisan breton, Jamin, avec des tubes en acier Colombus.
Je fais grâce à mes lecteurs des autres réclames pour les outils VAR, le jeu de direction Stronglight, le Synthol, les vêtements VETAC, les sachets pour boissons DEXTRODOSE (en vente en pharmacie)...
Je continue ce long article, tant qu'à faire, je suis lancé... par le dessin de PELLOS.
En couleur, SVP, et toujours le même trait vif qui va à l'essentiel : Hinault va-t-il réaliser le doublé GIRO - TOUR DE FRANCE ? On s'attendrait presque à voir surgir Ribouldingue, Croquignol et Filochard pour piquer le maillot (ou le magot) du Blaireau. En 1982, Pellos avait 82 ans...
Nous atteignons ici la fin de la collaboration du dessinateur avec Miroir du cyclisme, journal qu'il illustrait depuis sa création en 1960. Il pourrait bien s'agir d'un des derniers dessins de Pellos dans le Miroir (Le dernier ? à vérifier)
Pour clore ce message, voici, les reliures dont je parlais au début.
A l'époque, je n'en avais acheté que deux. Je viens d'en acquérir d'autres. Je suis en train d'y ranger ma vieille collection. Je pense que je vais faire d'autres découvertes...