vendredi 23 décembre 2011

Diagonale Brest Strasbourg 1933...

Je viens de récupérer les documents et médailles que Michèle Chardon m'avait gentiment prêtés pour être exposés à l'Office du tourisme de Saint Quentin en Yvelines l'été dernier à l'occasion des PBP qui partaient et arrivaient dans cette ville de l'ouest parisien.
C'est l'occasion pour moi de revenir sur les aventures cyclistes de René Chardon voici 75 ans et plus...
Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une Diagonale ? Je suis allé chercher plus d'informations sur le site des "Diagonales de France".



"Les DIAGONALES DE FRANCE sont des randonnées de cyclotourisme qui consistent à relier, dans des conditions définies par le règlement des Diagonales, deux sommets non consécutifs de l'Hexagone national. Un DIAGONALISTE est un cyclotouriste ayant réussi au moins une Diagonale officiellement homologuée par la F.F.C.T
Alors que c'est Vélocio qui, le premier en 1929 employa le mot de DIAGONALE, c'est Philippe Marre qui créa en 1931-1932 les DIAGONALES DE FRANCE. Il s'agissait, et il s'agit toujours, de relier entre eux, par les diagonales, les 6 sommets de l'hexagone français : DUNKERQUE, STRASBOURG, MENTON, PERPIGNAN, HENDAYE, BREST. Ceci donne 9 DIAGONALES différentes, et même 18 si l'on compte les deux sens.
On comptera 27 tentatives avant la guerre, mais ce n'est qu'en 1949 que le règlement des DIAGONALES DE FRANCE prend une forme, et surtout un esprit plus modernes, dépourvus d'esprit de compétition, sinon contre soi-même. Entre-temps, les DIAGONALES DE FRANCE avaient été offertes à la toute jeune Fédération Française de CycloTourisme."

René Chardon fut donc l'un des pionniers qui réalisa  l'une de ces 27 tentatives d'avant-guerre !
Fin août 1933, il prit le train pour Brest avec en poche un tableau des prévisions de ses temps de passage dans chaque ville qu'il doit traverser. 
En effet, La Diagonale est une épreuve en randonnée libre qui n'a donc pas de dates précises, à chacun de s'organiser selon son choix.
La tentative de René Chardon est ainsi annoncée dans la presse :

"Les diagonales qui, à l'heure actuelle, ont toutes été parcourues, reviendraient-elles à la mode ? M. René Chardon, de Changis, aurait l'intention d'essayer sous peu Brest-Strasbourg. Le temps de Jean Marx (87 heures), réussi par des conditions épouvantables est facilement battable, mais l'intérêt de ces randonnées réside-t-il tant que cela en une performance exclusivement sportive ? Nous ne le croyons pas."

"Lagny-Thorigny-Sportif.    —    Brest-Strasbourg — Mercredi 23 courant René Chardon se rendra à Brest pour y prendre le départ d'une tentative  « audaxieuse » contre le record des 87 heures établi par Marx, grand routier de la Fédération cyclotouriste parisienne.
Voici les grandes lignes de ce raid qu'il va accomplir en solitaire en roulant jour et nuit. Départ de Brest jeudi matin ; il doit passer par Morlaix, Guingamp, Dinan, Pontorson, Mortain, Domfront, Argentan, Verneuil, Dreux, Versailles, Choisy-le-Roi, Tournan, Fontenay-Trésigny, Esternay, Sézanne, Vitry-le-Francois, Ligny-en-Barrois, Toul, Nancy, Blamont, Shirmeck, le Donon, Molsheim et Strasbourg, soit 1.100 kilomètres.
Nous convions donc samedi à 14 heures, au monument, tous les cyclistes des environs pour se joindre au groupe du L.T.S., conduit par le vétéran Audax Dunas, dont ce brave Chardon est le plus digne élève, à se rendre sur son passage, aux environs de Tournan et lui faire une ovation pour son courage et lui donner un précieux réconfort moral pour la fin de sa randonnée. Gageons qu'il y aura du monde parmi les jeunes que cet exploit peut laisser rêveurs. En attendant la fin de ce raid, nous souhaitons que la température le favorise et qu'il mène à bien sa téméraire entreprise... ce dont son président ne doute nullement."
Le vendredi 25 août 1933, à 4 heures du matin, René Chardon quitte l'Hôtel des Familles, rue Ambroise Thomas à Brest, après avoir fait compléter sa feuille de contrôle de passage par le patron de l'hôtel.
Tout au long de sa route à travers la France, il a prévu de s'arrêter 21 fois pour valider son passage.
Il pointe à Morlaix à 6H40
A-t-il le temps de voir les lavandières de Pontorson à 17 H 00 ?
Il est à Barenton en Normandie à 21 H 00.
Le samedi 26, au petit matin, après une nuit sur le vélo (A-t-il dormi un peu dans un fossé ou dans une grange ? C'est peu probable...), il pointe à Houdan au café de l'Union qui existe au moins depuis la guerre de 14-18... comme  en témoigne cette carte postale.La traversée de la région parisienne par la banlieue sud devait être plus facile qu'aujourd'hui
La traversée de la région parisienne par la banlieue sud devait être plus facile qu'aujourd'hui.
A Rozoy en Brie, il emprunte la Nationale 4 . Sans doute ses camarades de club l'ont-ils accompagnés sur ce tronçon !
A Esternay, il pointe  à19 H 30 dans une épicerie. N'a-t-il pas trouvé de café ou d'hôtel ouvert ?
Et il continue sa route vers l'orient. A 7 H 00 du matin le dimanche, il est à Vitry le François. Sans doute s'est-il arrêter pour dormir un peu sur les bords de la Nationale qui mène à Strasbourg.
Il passe Toul à 13 H 00...
... et Lunéville à 16 H 00.
Il arrive à Strasbourg à 23 H 00. Il vient de battre le précédent record sur cette diagonale de 20 heures !
Sans doute fit-il de beaux rêves cette nuit-là à l'hôtel Terminus, le bien nommé...

En tout cas, sa feuille de contrôle de passage montre tous les arrêts réalisés lors de cette diagonale.

Et cette coupure de journal atteste la réussite de l'entreprise :
Brest-Strasbourg
1.100 kilomètres sont couverts par René Chardon, à bicyclette, en 67 heures.
Ainsi que nous l’avions annoncé dans notre rubrique sportive la semaine dernière. Chardon, du Lagny-Thorigny-Sportif, s'est mis en route le vendredi matin 25 août à 4 heures, à Brest. Il touchait la capitale de l'Alsace, Strasbourg, le dimanche soir à 23 heures, n'ayant pris que quelques heures de repos à Fère-Champenoise. Voilà brutalement les faits de cette formidable prouesse, formidable à tous points de vue, car elle fut accomplie seul, de jour et de nuit, sauf aux environs de Paris où quelques amis lui tinrent compagnie ; formidable surtout, car Chardon n'en tire aucun profit, bien au contraire, ayant tout payé de sa poche, depuis son train qui l'amena à Brest et celui qui le ramena de Strasbourg, jusqu'aux nombreux casse-croûte qu'il absorba tout au long des 1100 kilomètres. Tout cela pour un peu de gloire éphémère et surtout pour garder, impérissable dans le cours de sa vie, le souvenir d'avoir fait « grand » d'avoir fait « à la française » quelque chose que les jeunes de son âge, s'ils avaient eu le courage de l'accomplir, n'eussent point manqué de se faire monnayer.
Il  n'a  même  pas  la  récompense de voir les grands journaux sportifs souligner sa performance dûment contrôlée d'ailleurs, celle-ci ayant été faite en dehors de toute publicité sportive.
La grande diagonale Brest-Strasbourg fut accomplie par Marx, de Paris, l'an passé en   87   heures.        Chardon,   après mûre réflexion s'étant dit qu'il pouvait faire mieux, partit donc après la moisson, travail pénible que nécessite son métier de cultivateur et après trois jours et trois nuits sur les routes d'Ouest en Est, abattit ce temps à 67 heures, soit donc 20 heures de mieux.
Saluons donc largement l'élève de notre ami Dunas et regrettons en passant que notre digne vétéran, qui ne peut plus à son grand regret s'adonner à d'aussi belles  prouesses,   ne produise    pas    d'autres    hommes de cette trempe si spéciale doués de  telles   qualités       morales et  physiques.
En attendant   le  banquet  annuel  qui       sera cette  année celui de Brest-Strasbourg, tous les sportifs et les amis du L.T.S  adressent à René Chardon leurs  plus vives félicitations pour sa mémorable performance que beaucoup n'oseraient demander à une automobile ordinaire.




2 commentaires:

  1. Surtout, JP, n'hésite pas à nous redonner d'autres récits et d'autres docs " vintage " aussi passionnants que cette diago des temps héroïques !

    RépondreSupprimer